L'homme qui pesait plus lourd nu qu'habillé
de Jérôme Elie

critiqué par Libris québécis, le 11 avril 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Malaises identitaires
Il y a de ces petits romans plus révélateurs que certains pavés. En 134 pages, l'auteur réussit à creuser l'énigme de notre existence dans son apparente banalité. C'est un petit chef-d'oeuvre, qui évite le langage abscons des spécialistes de l'être humain et de la science. Parce que ce court roman, en plus d'être métaphysique, relève du domaine de la science-fiction.
De prime abord, le roman se présente comme une rupture amoureuse. Une femme éconduit son homme dont les désirs se portent ailleurs. Comme elle n'est pas intéressée de former le troisième côté d'un triangle, elle aime mieux se départir de ce qu'elle a perdu de toute façon : «Si je te garde, je te perds». Le héros quitte donc le foyer conjugal. Dans sa fuite rapide, une chauve-souris vient s'écraser dans le pare-brise de sa voiture, provoquant ainsi un accident qui le rendra étranger à lui-même, pour ne pas dire autiste. Ce court prologue pose la question de la fragilité de notre existence. Tient-elle à un fil que n'importe quel incident pourrait couper?
Débarrassé de son identité, le héros s'amène chez le psy pour découvrir l'énigme qu'il est devenu à ses propres yeux. Il n'en continue pas moins son travail de recherche scientifique. Il met au point un détecteur de mensonge par l'inflexion de la voix. Cet élément de science-fiction est bien intégré aux préoccupations métaphysiques du héros. La science serait-elle une projection de ce que nous sommes, comme le laisse entendre Marshall McLuhan dans «Pour comprendre les média»? A-t-elle l'objectivité nécessaire pour nous révéler ou ne serions-nous pas «la bave de nos très anciennes peurs»? Sa recherche démontre en somme que l'homme mis à nu est plus lourd qu'il n'y paraît
Cet aspect scientifique débouche sur la philosophie. L'invention du héros sert de prétexte pour démontrer que tous mentent. Nous préférons le mensonge à la vérité. Nous préférons même comme lecture des oeuvres qui nous «égarent dans un rêve d'immortalité». Comme disait Jean-François Revel dans «La Connaissance inutile» : «L'homme n'a pas besoin de savoir, il a besoin de croire». L'auteur passe ainsi en revue nos croyances en rapport avec la politique, la publicité, la religion, l'amour et évidemment la mort. Sa critique sévère n'épargne personne, même pas le pape qu'il trouve un peu trop avide de caméras.
Nous sommes un peu tous des autismes qui vivons dans notre bulbe. Cette maladie qui jouit de l'intérêt des spécialistes comme Oliver Sacks trouve dans ce roman une voix dans le personnage de Zidowski. Même le célèbre américain apparaît dans l'oeuvre sous la peau d'Olive que le héros a consultée. Mais la charmante neurologue est beaucoup plus préoccupée par ses fantasmes que par sa profession. On le sent dans le dénouement quand elle accourt vers son savant patient.
Ce roman accessible, aussi philosophique soit-il, se prête à plusieurs interprétations. Bref, c'est l'histoire bien moderne d'un homme dont les démons l'ont rendu énigmatique à ses propres yeux. Il faut y croire si l'on considère la popularité des psys. Ceux qui cherchent de véritables rapports avec la vie y trouveront leur compte parce que «vivre d'illusions amène d'amères déceptions», comme disait Zoé Valdés dans «La douleur du dollar».