Recels
de Alain-Paul Mallard

critiqué par Cyclo, le 15 juillet 2013
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
Pour amateurs de littérature !
"Mon renoncement à une œuvre ne fut jamais une décision programmée comme aurait pu l’être, disons, un vœu de silence. Il s’agissait plutôt, il s’agit, d’un état de fait, au fil des ans j’ai commencé à voir avec un sérieux mélange de stupeur, de rancœur et de mépris admiratif, la façon dont pensaient les écrivains de ma génération, comment ils publiaient livre après livre, comment ils se professionnalisaient et s’internationalisaient, comment ils tramaient des cycles narratifs ambitieux, des trilogies et des tétralogies sur la fin de l’Histoire alors que moi, jeune espoir des lettres mexicaines, j’étais resté après 40 pages de jeunesse, sans rien à dire de plus, une promesse non tenue."
Voilà, en quelques mots, tout est dit. Alain-Paul Mallard a une si haute idée de la littérature qu'il ne peut se résoudre à publier que des fragments ("Tant de livres sont donnés prématurément à l'imprimerie. C'est en partie pour cela qu'ils passent directement du présentoir des nouveautés à la librairie d'occasion"), réunis ici sous le titre "Recels". Mais quels fragments ! des bouts de récits, des nouvelles, des méditations sur la littérature, sur Borges ou Joyce... Tout est de la plus haute qualité littéraire, et la traduction impeccable, au point que je me suis demandé s'il ne s'agissait pas, sous couvert d'une traduction, d'une tentative un peu analogue à celle de Boris Vian (avec Vernon Sullivan) ou de Queneau (avec Sally Mara)...
De purs moments de jubilation pour les lecteurs avertis, peu suspects de complaisance envers les best-sellers actuels...
Un remarquable texte sur ce qu'est le monstre :
"Nous créons le monstre dans l'obscur laboratoire de nos préjugés, sous l'arc voltaïque de nos ressentiments, parmi les éclairs de nos craintes. […] mais en fin de comptes le monstre, magnifique, est l'hyperbole à l'aune de laquelle nous mesurons notre médiocrité."
"On craint le monstre à cause de son pouvoir de subversion. Notre horreur, notre fascination pour la difformité humaine répond au fait que le monstre défie les frontières conventionnelles – entre l'homme et la femme, entre l'humain et l'animal, entre le grand et le petit, entre ce qui est propre et ce qui est autre – et qu'il dissout par là-même les limites entre la réalité et l'illusion, entre l'expérience et la fantaisie, entre le fait et le mythe."
"C'est dans la honte que réside la véritable monstruosité. Ressentir de la honte, s'assumer comme monstre, avoir peur d'en être un, reconnaître intimement une condition aussi affligeante."