Poète... Vos papiers !
de Léo Ferré

critiqué par Débézed, le 29 juin 2013
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
"L'Opéra du ciel"
« La poésie contemporaine ne chante plus. Elle rampe. Elle a cependant le privilège de la distinction, elle ne fréquente pas les mots mal famés, elle les ignore. » Léo a compris depuis longtemps que la poésie perdait son aura, qu’elle s’abimait dans une certaine facilité : « Les écrivains qui ont recours à leurs doigts pour savoir s’ils ont leur compte de pieds ne sont pas des poètes : ce sont des dactylographes ». Il n’aime pas qu’on plaisante avec l’alexandrin, « la poésie contemporaine qui fait de la prose en le sachant », « L’alexandrin est un moule à pieds. On n’admet pas qu’il soit mal chaussé, traînant dans la rue les semelles ajourées de musique. »

« La poésie libérée c’est du bidon
Poète prends ton vers et fous lui une trempe
Mets-lui les fers aux pieds et la rime au balcon
Et ta Muse sera sapée comme une vamp. »

Chez Léo la rigueur de l’alexandrin s’accouple avec l’anarchie du texte dans des vers d’une grande sensualité, des vers charnels, des mots qui font l’amour, des rimes qui chantent. Des mots comme des gifles, comme des lamentations, comme des caresses, comme des pleurs, des vers qui copulent en une orgie littéraire, en une danse païenne comme un ballet de « Walpurgis », des vers à faire pleurer sur des airs de jazz ou de blues ou des vers guillerets à faire valser sur un air d’accordéon. Des vers qui crèvent la faim et qui veulent pendre les bourgeois à la lanterne.

« Et qui viv’nt en rêve
Pour gagner du temps. »

Mais si le poète hurle, crie, invective, pleure, se lamente, il faut aussi, sous sa carapace écorchée, faire sourdre les élans de tendresse qu’elle masque mal, la fragilité du poète, sa sensibilité à fleur de peau.

« Quand la raison n’a plus de raison
Et qu’nos yeux jouent à s’renverser
Et qu’on n’sait plus qui est l’patron
Quand la raison n’a plus raison »

Le verbe copule avec l’anarchie et le poète prend son pied, hanté par le sexe jusqu’à la débauche, poursuivi jusqu’au fond des bouges les plus louches, il bouffe du curé avec un appétit orgiaque, se déchaînant dans « L’Opéra du ciel », vomissant son désespoir à la face de ce Bon Dieu qu’il rejette mais qu’il ne cesse d’invoquer car la mort l’obsède comme une vague d’angoisse, comme une invitation au voyage au pays de Satan. Il rejette l’ordre établi et les institutions qui broient les individus dans un magna de société dépersonnalisée, pétrifiée dans son académisme, « Il se meurt doucement d’Académie française ».

Eh oui Léo on pourrait, nous aussi, interpeller Popaul et lui demander dans une complainte d’un autre temps :

« Qu’as-tu fait Popaul, qu’as-tu fait
De Saint Germain-des-Prés. » ?

Mais rien n’est définitivement perdu, le poète nous a laissé quelques vers, quelques belles rasades d’espoir à ingurgiter, sans modération, jusqu’à l’ivresse :

« Je suis la raison d’espérer
De l’anarchiste et du poète
Et je tiens leurs idées au frais
En attendant qu’on les achète »