Les bourreaux volontaires de Hitler
de Daniel Jonah Goldhagen

critiqué par Oburoni, le 31 août 2013
(Waltham Cross - 41 ans)


La note:  étoiles
Tous Nazis
Pavé dans la mare, ce livre de Daniel J. Goldhagen fit son scandale à sa sortie en 1996. C'est que, pour l'auteur l'Holocauste ne fut pas le produit du nazisme per se mais, de la société allemande en générale -dont les Nazis ne firent qu'exploiter l'antisémitisme déjà virulent. Se penchant ici sur le cas des perpétrateurs, il veut montrer que ces derniers, contrairement aux idées reçues et les défenses avancées par les meurtriers eux-mêmes, ne furent pas les victimes apeurées et dépourvues de choix d'un régime répressif brutal mais, au contraire, les complices volontaires et actifs de cette vaste entreprise de destruction. Comme il le souligne (nous bassine) à maintes reprises, l'Holocauste fut ''une entreprise allemande, les décisions, plans, ressources et la majorité de ses exécutants allemands''.

De l'antisémitisme démonologique chrétien au racisme scientifique, le tout se superposant à l'idée du ''Volk'' indissociable des notions de race et de sang, il souligne comment l'évolution de la pensée allemande mena à l'acceptance, largement répandue parmi tous les bords de la société, d'une question juive (Judenfrage) bien particulière : l'incompatibilité d'être Juif et allemand et, l'idée du Juif comme étant une menace au Volk. Couplée avec les évènements bien précis qui frappèrent de plein fouet l'Allemagne suite à la Première Guerre mondiale (le Traité de Versailles, les échecs de la République de Weimar, la crise de 1929) une telle pensée ne pouvait mener qu'à une seule logique : le Juif comme bouc-émissaire à tous les problèmes; son élimination comme Solution Finale aux dits problèmes.

Si une telle thèse (Sonderwerg), selon laquelle le Nazisme n'a pu émerger qu'en Allemagne à cause de conditions historiques bien précises n'est pas neuve, l'auteur n'y va pas ici avec le dos de la cuillère; pire, il en fait une caricature grossière en pointant l'ensemble du peuple allemand du doigt. En effet, il cherche en fait à démontrer que, sans un antisémitisme éliminationiste latent jamais les Nazis n'auraient pu mettre en place l'Holocauste de manière aussi efficace et meurtrière. Au-delà, pour lui l'établissement des chambres à gaz ne fut pas le fruit du chaos engendré par l'échec des campagnes militaires sur le front de l'est (comme il est couramment admis par la majorité des historiens actuels) mais, l'ultime étape d'un processus logique et clairement intentionnel depuis longtemps d'éradiquer les Juifs. Pour Goldhagen en somme, l'Holocauste était ce que les Nazis ont toujours voulu, ce que le peuple allemand dans son ensemble souhaitait et, que seule la conquête de l'Europe rendit pratique à mettre en place.

Alors, l'aspect répétitif du tout est franchement barbant. Surtout, tirer des conclusions sur le comportement de tout un peuple en général, non seulement à partir de simples exemples tirés de cas extrêmes (les Batallion de Police sur le front de l'est etc.) mais, surtout, sans dire un mot sur ce qui pourrait servir de contre-arguments (combien d'allemands emprisonnés à Dachau ? Combien de voix en exil ? Pourquoi minimiser les mesures disciplinaires brutales mises en place au sein de l'armée ? etc.) fait de sa thèse une grossière caricature. C'est dommage parce que, il faut avouer que son idée d'antisémitisme éliminationiste répandu au point de servir les intérêts d'une idéologie totalitaire a de quoi séduire. En tous cas, l'apathie générale face aux lois de Nuremberg ou, encore, la Nuit de Cristal laissera songeur.

En somme, si Goldhagen n'aide pas trop à expliquer l'Holocauste (mais est-ce seulement possible ?) son livre reste à lire absolument, ne serait-ce que parce qu'il démontre qu'il n'y a rien de tel qu'un racisme ''bénin'' -certains préjugés, intelligemment exploités politiquement, peuvent porter en eux les germes à des entreprises plus vastes et macabres. Une lecture certes agaçante pour ses clichés mais, malgré tout dérangeante et glaçante.