La nuit, le jour et toutes les autres nuits
de Michel Audiard

critiqué par Incertitudes, le 25 avril 2014
( - 40 ans)


La note:  étoiles
Noir, c'est noir. Il n'y a plus d'espoir.
Interrogez n'importe quel français dans la rue et demandez lui ce que représente Michel Audiard. Il y a neuf chances sur dix pour qu'il vous réponde : "Les Tontons Flingueurs".

Il n'aurait pas tort. Audiard, c'est effectivement les Tontons mais pas que. Les plus cinéphiles citeront Cent Mille dollars au soleil, Les Barbouzes ou Ne nous fâchons pas. Voire le Audiard réalisateur. Celui du Drapeau noir flotte sur la marmite ou de Comment réussir quand on est con et pleurnichard.

Mais il y a aussi le Audiard écrivain. Du reste, il a toujours été passionné de littérature, dévorant Proust, Verlaine ou Rimbaud et vouant un culte pour Le Voyage au bout de la nuit de Céline qu'il rêvera d'adapter sans succès. D'ailleurs, tous les films qu'il a dialogué au cinéma sont des adaptations de bouquins.

La nuit, le jour et toutes les autres nuits a pour origine la mort de son fils François en 1975 dans un accident de voiture alors qu'il était en train de travailler sur le scénario de l'Incorrigible que De Broca doit tourner avec Belmondo. Cette mort, et ça peut se comprendre, aura un impact assez important sur sa filmographie. Même s'il continuera de participer à quelques comédies policières comme Le Professionnel ou le Marginal, Mort d'un pourri, Garde à vue, Mortelle Randonnée ou On ne meurt que deux fois montrent que plus rien ne sera jamais comme avant.

C'est là que se trouve le vrai Audiard. Dans ces derniers films d'une noirceur absolue que je viens de citer ou dans la littérature. Lors de la promo de ce livre, il dira qu'être dans la vie un joyeux luron n'était peut-être pas une bonne chose. Que sur les 80 films qu'il a pu écrire, il y en a 65 qu'il déteste. Certains de ses collègues diront que vers la fin de sa carrière, on continuait à le prendre pour un "faiseur" car c'est vrai qu'il avait un vrai talent pour faire rire. Mais cela finissait par l'agacer au plus haut point. Dans le livre, il y a peu de références à sa carrière au cinéma mais le peu confirme la piètre estime qu'il avait fini par avoir de ce milieu.

Dans la nuit, le jour, et toutes les autres nuits, Audiard nous narre sa jeunesse durant l'Occupation. Il accusera la Guerre, à laquelle il ne participe pas, de lui avoir volé sa jeunesse. On y croise des personnages étranges. Des prostituées pour la plupart ou des clochards. Ses principaux compagnons. A la Libération, Myrette est lapidée par des résistants. Quenotte est tondue. La mort est partout. Tout le monde dans le même sac.

Cette profonde amertume, cette tristesse qui émane du livre, cette haine envers les hommes, peut surprendre car dans certains de ses films les plus noirs, il n'allait pas jusque là. La littérature lui donne cette liberté. Il n'y a pas de fil conducteur. Audiard balance ses souvenirs sur la table et c'est au lecteur de rassembler les pièces du puzzle. Parfois, on s'y perd comme Audiard se perd dans les rues de Paris la nuit la cigarette au bec. Trop de personnages, trop de lieux traversés, et un vocabulaire très argotique avec lequel je ne suis guère familiarisé.

Audiard souhaitait, si ce livre marchait, abandonner le cinéma pour se consacrer à la littérature. Sorti en 1978, il s'avère que La Nuit...est son dernier livre et qu'il continuera finalement à écrire pour le cinéma jusqu'à sa mort en 1985.
"Je n'ai plus d'amis. Il ne peut plus rien m'arriver de désagréable !" 8 étoiles

Michel Audiard (1920 -1985) est un dialoguiste, scénariste et réalisateur français de cinéma, également écrivain et chroniqueur de presse.
"La Nuit, le jour et toutes les autres nuits" paraît en 1978.

Ne dit-on pas que les clowns sont les plus doués pour nous faire pleurer ?
Les meilleurs Slows n'ont-ils pas été composés par des groupes de hard rock ?
Les romans les plus sensibles, les plus "à l'os" (comme aiment à dire les critiques littéraires parisiens) ne sont-il pas écrits pas des amuseurs, des "branquignolles" ?
J'aime à croire sur OUI !

Dans cet ouvrage tendre, nostalgique et amer, Michel Audiard crache son venin sur une Humanité qu'il exécre de plus en plus.
Appelant de ses voeux à l'extinction finale (une bombe qui anéantirait l'Humanité), il trimballe sa souffrance dans les rues parisennes.
Même son incroyable notorité, ses talents de dialoguistes pour le cinéma lui paraissent futiles. Juste bons à gagner son pain.
Ce sont les bassesses humaines tellement nombreuses en cette période d'après guerre (L'occupation, puis la Libération de Paris ont vu se retourner quantités de vestes.... ) qu'il vomit.
Myrette, Quenotte, Hortense, Nanar , Clodomir....des amitiés vraies, sa jeunesse à jamais enterrée mais le hantant quotidiennement .
De désillussions en amertume, s'installer à Montrouge, Bld Romain-Rolland, dans un petit immeuble des années 1920, en brique, avec perron sous marquise, exposé au nord mais très bien étudié côté vue: juste au-dessus du cimétière.... ne serait pas pour lui déplaire.

J'ai pris beaucoup de plaisir à déambuler dans les rues de Paris avec Michel Audiard. Un Paris oublié que les bombardements allemands ont scarifié, éventrant les rues et... les âmes.
Un ouvrage "à la Audiard" (vous y retrouverez ce style inimitable) empreint d'une forte sensibilité .

Frunny - PARIS - 59 ans - 25 janvier 2021


Les bonheurs de la langue verte 8 étoiles

Audiard romancier est-il à la hauteur du dialoguiste et scénariste de cinéma ? Lisez ce roman, c’est bien de l’Audiard, et du bon. Sa truculence, sa verve habituelle, la saveur de sa langue verte sont au rendez-vous. Et ce ne sont pas les passages dialogués qui sont les plus réussis. Les perles se trouvent dans les réflexions intimes, le rendu des souvenirs, principalement ceux de l’Occupation à Paris.

Je recommande particulièrement l’épisode de la course aux abris dans les caves pendant les bombardements, ou encore la rencontre du narrateur avec la jeune Raymonde au Tréport, à l’été 39, sur la plage : « Je brossais en traits appuyés la volée qu’on n’allait pas manquer de se prendre si on se mêlait de ce qui nous regardait pas à Dantzig, que les Allemands brûleraient Paris, que les Françaises finiraient dans les bordels nazis, et que de toute façon on ne verrait rien de tout ça puisqu’on serait fusillés. Ça marchait bien. Elle a fait glisser, en se tortillant, son slip à fleurs jaunes sur les chevilles et a passé ses bras dorés autour de moi. « T’as raison, convint-elle, on va sûrement mourir. Vas-y ! »

L’irrévérence est omniprésente, tant sur les faits de la Résistance que ceux de l’épuration après la Libération. Le Panthéon quant à lui est qualifié de « réserve à cauchemars, plus fou que le cimetière des chiens. Vu de dehors, c’est encore plus horrible, et la nuit, plus horrible encore je crois bien, avec cette impression de vide minéral que distillent certaines places désertiques de Berlin-Est, une angoisse énorme, monumentale, comme si la ceinture de façades qui l’enserre conspirait à retenir les morts en cette nécropole plantée sur ce plateau croûteux. »

Mais à côté de ces morceaux de bravoure, des formules typiques du maître et qui font mouche par leur brièveté : « Dès qu’elle cesse d’être vague, l’idiotie devient louche. »

Même si le fil du roman est parfois lâche, le bonheur de lecture surgit à toutes les pages.

Alceste - Liège - 63 ans - 9 janvier 2016