Les volets verts
de Georges Simenon

critiqué par Macréon, le 20 mars 2003
(la hulpe - 90 ans)


La note:  étoiles
Un roman qui prend peu à peu à la gorge
C'est en janvier 1950 et aux Etats-Unis que Simenon a rédigé ce roman dur, noir, auquel il tenait beaucoup. Au point de commencer par un avertissement indiquant "catégoriquement" que son personnage principal, le grand acteur Maugin, n’est un portrait ni de Raimu, ni de Michel Simon, ni de Charlie Chaplin, qu'il considérait comme les plus grands acteurs de son époque. Certains "tics" de Maugin font même penser, à notre avis, à des acteurs comme Pierre Brasseur, Jean Gabin ... En fait, Simenon s'est inspiré de plusieurs comédiens connus et appréciés des spectateurs pour décrire un moment de vie d’un vieil artiste au sommet de sa gloire,
L'action du roman se déroule principalement à Paris, ville que Simenon connaît bien pour y avoir vécu à partir de 1924 (jusqu’en 1927, date de la fin de sa liaison avec Joséphine Baker). C'est à Paris que que petit Sim commence sa carrière par une litanie de ce que nous oserions appeler ses romans de gares, c'est-à-dire très légers, sentimentaux et d'aventure, bref populaires. Certains de ces petits livres annonçaient néanmoins les thèmes futurs et récurrents de son inspiration : la solitude, la médiocrité, la culpabilité et la fatalité.
Simenon rencontre Colette qui lui prodigue les bons conseils que l'on sait, des peintres comme Vlaminck, Picasso et des poètes comme Max Jacob. Il lance le personnage de Maigret début 1931, au cours du barnumesque bal anthropométrique se déroulant dans un boîte de Montparnasse. Les invités étaient déguisés en gangsters ou en prostituées . Auparavant, il s’était décidé, avec sa femme, sa cuisinière et le chien Olaf, de faire le tour de France sur les canaux et rivières (pendant six mois) pour passer ensuite son brevet de capitaine au long cours et s'embarquer à bord d'un cotre de dix mètres, (petit bateau de plaisance léger, rapide, destiné notamment à la pêche) baptisé l’Ostrogoth. Il traverse la Belgique et les Pays-Bas et poursuit son travail littéraire, utilisant sa machine à écrire "en plein air" lorsque c’était possible.
En octobre 1945, il décide de partir aux Etats-Unis et commence par s'amouracher, à New-York d’une Québécoise qui allait devenir sa femme, Denyse Ouimet. Commence cette pérégrination, à la recherche d’une maison idéale - Simenon a la bougeotte- de l’Arizona à la Nouvelle Angleterre en passant par " Carmel by the Sea " (Connecticut) où fut écrite l’oeuvre qui nous occupe.
1950 est donc l’année des "Volets verts" mais aussi celle d’Un Nouveau dans la Ville, de l'Enterrement de Monsieur Bouvet, des Petits cochons sans queue, succulent recueil de nouvelles dont celles, époustouflantes, intitulées "Sous peine de mort" et “ Un certain Monsieur Berquin." Il y a aussi Tante Jeanne et trois Maigret. Rythme intense de sa période américaine, livres traduits immédiatement dans le monde entier.
Les “Volets verts" commencent tout doucement mais le climat , l’action se densifient progressivement. Maugin a une forte propension à la boisson et ingurgite force bouteilles de vin rouge, de vin blanc lorsque le soleil tape trop dur et quand il est en excursion en mer, dans le Midi.
Sans oublier de fréquentes rasades de cognac, fine et autres alcools forts. Il s’arrête volontiers dans les bistrots où il est fatalement reconnu: cela l'indiffère. Maugin est bougon, désagréable, égoïste et pourtant il a la chance de connaître l'amour en la personne d’une jeune femme que le grand romancier réussit à nous rendre attachante. La beauté et la force du roman se confirment au fil des pages et nous assistons à d'étonnants “morceaux de bravoure “, des scènes intenses et touchantes que nous nous abstiendrons bien entendu de décrire.
Comme Maupassant, Simenon a parfois été imité, mais jamais égalé. Certains littérateurs l'ont dédaigné pour sa prétendue absence de style. Par exemple Jean Paulhan qui estimait, à juste titre, nous dit Angelo Rinaldi, que “ Simenon est le Balzac des pauvres d'esprit." Merci pour ses lecteurs. En fait, ce raconteur d'histoires utilise un vocabulaire à notre portée tout en nous offrant une intrigue captivante. Il fait cela avec densité, humanité, profondeur, génie. Ses ouvrages sont inoubliables, intemporels. Simenon ne vieillit pas.
Ambiance lourde 9 étoiles

Emile Mauguin est un acteur adulé du cinéma français. Il a épousé Alice, beaucoup plus jeune que lui, qui avait déjà une enfant. Mauguin a un fils qu’il a eu d’une de ses innombrables maîtresses, un certain Emile Cado, qu’il n’a pas reconnu, mais qu’il aide financièrement. Mauguin n’aime personne – même pas lui-même- et est le plus souvent ignoble. « Il les avait fuis tous, les uns après les autres, et, quand il ne voyait plus rien à fuir, il se mettait à boire pour les fuir encore. »

De nouveau un roman « dur « de Simenon à l’ambiance particulièrement lourde. A recommander !


Extraits :

- Il avait aussi mal parlé des femmes, prétendant que toutes, autant qu’elles sont, ne rêvent que de l’état de veuvage, pour lequel elles se sentent nées.

- Une femme qui a bu a des possibilités accrues de jouissance, tandis qu’un mâle devient lourd et impuissant.

- Elle vivait dans un monde où le péché occupait une place considérable où c’était une sorte de personnage et elle s’ingéniait à l’amadouer, à faire bon ménage avec lui.

- Comme si, de là-haut, un bon Dieu à la retraite laissait pendre des crochets invisibles avec des biftecks au bout pour attraper les humains, des bottes de foin pour attraper les vaches.

Catinus - Liège - 73 ans - 28 avril 2015