Les enfants du nouveau monde
de Assia Djebar

critiqué par Tistou, le 14 juin 2013
( - 68 ans)


La note:  étoiles
« Soupe primitive » de la Guerre d’Algérie
Impressionnant de songer qu’Assia Djebar a écrit « Les enfants du nouveau monde » à l’été 1961, soit pendant la guerre d’Algérie (elle était alors enseignante à Rabat apparemment). En ce sens, il s’agit d’un roman de jeunesse.
Elle situe l’action de ce roman – choral – en 1956, à Blida, une ville moyenne algérienne.
Impressionnant de lucidité sur ce qui avait été en 1956 le ferment de la guerre, sur ce qu’elle allait être – une horreur absolue, mais s’agissant d’une guerre … ! – et ce sur quoi elle allait déboucher ; la spoliation des femmes du rôle qu’elles avaient joué, l’occasion manquée d’associer 50% de la neuve population algérienne à la marche d’un pays – imbécillité de la religion quand tu nous tiens !
Roman choral. D’ailleurs, consciente qu’il n’est pas forcément aisé de suivre au fil des petits chapitres éclatés d’un personnage à l’autre le fil de l’action, elle introduit avant le premier chapitre une liste des « Personnages ». Pas moins de 20. Tous de Blida, certains d’Alger, avocats. Quasi tous algériens sauf Jean et Martinez, commissaire de police et son adjoint, français.
1956, la colonie se délite. La population indigène prend conscience de sa situation et les maladresses du colonial exacerbent la situation – c’est étonnant à ce titre comment des peuples peuvent s’illusionner, les uns après les autres, pouvoir en maintenir d’autres, chez eux, en état de servilité ou de domination !
Au fil des chapitres consacrés à Cherifa, Lila, qu’on va laisser à la fin du roman incarcérée pour être interrogée – et on peut que frémir sur ce que cela signifie ! – Salima, Touma, … on voit défiler par les yeux de ces femmes aux destins compliqués, destins de guerre, la montée inexorable de la violence comme une étincelle qui rencontrerait une balle de foin bien sèche.
En tant que Français, je ne me sens pas grandi de cette lecture dont on sent bien pourtant l’authenticité, notamment l’atmosphère compassée d’une ville comme Blida au temps « des colonies ». Colons venant siroter leur pastis le soir aux terrasses, autochtones tuant l’ennui et le désoeuvrement aux mêmes terrasses, jouant d’interminables parties de dominos en faisant durer un café … Et puis cette violence du pouvoir qui voit la menace grandir et qui se lance dans des actions de répression vouées à l’échec, mais à la souffrance, et à la mort, d’abord …

« … Salima se réveille. Dans l’encadrement de la porte, Jean n’a pas bougé. Elle le distingue mal. Saidi a continué à hurler dans son sommeil. Elle émerge enfin au silence ; prend conscience de la pureté de l’air. « Est-ce la vie ? … » Elle voit l’homme devant elle surgi d’où, du cauchemar. Elle ne le reconnait pas, détourne les yeux ; derrière la lucarne, au dessus d’elle, le jour de nouveau, le même peut-être qu’hier, que tous les autres depuis qu’elle se trouve là, elle ne se rappelle plus. Elle ne sait rien, sauf que le silence est là, enfin.
« Si j’entends encore des cris de torturés, je deviendrai folle … », pense-t-elle avec effort, avant de replonger dans le sommeil. »