Le grand détour
de Marie-Danielle Croteau

critiqué par Libris québécis, le 13 juin 2013
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Chez les pygmées
L’auteure entraîne le lecteur en pleine forêt tropicale où vivent les pygmées. Son héroïne, Kristina Olsen, est née à Goma, une ville du Zaïre sise à la frontière du Rwanda. Son père est un anthropologue suédois marié à la fille d’un diplomate canadien en poste au Gabon.

Ce dernier s’intéresse aux négrilles en espérant que leur culture ne soit pas avalée par les prétendus progrès de la modernité. Cette inclination lui cause plus d’un ennui, en particulier avec son beau-père le pourvoyeur de fonds à ses recherches. Quand on signale sa disparition après la découverte de sa pirogue chavirée sur une rivière à la veille de l’indépendance du Congo en 1960, la famille Olsen fuit le pays pour des raisons de sécurité. Elle s’emmène à Montréal, où Kristina devient gardienne au Musée des beaux-arts. La rencontre fortuite d’un visiteur en possession d’une page de notes de son père, 21 ans après sa mort, lui laisse croire qu’il est encore vivant. Encouragée par ses collègues de travail, elle organise son retour en Afrique. Malgré les profiteurs qui exploitent les touristes blancs, elle parvient à atteindre le territoire habité par les pygmées, où son père aurait disparu.

Sous-jacente à cette trame se profile la blessure causée par la séparation d’une fille de son géniteur en plein complexe d’Électre. Son émancipation est tributaire de la découverte que Kristina fera. Pour conserver son équilibre, il lui faut renouer les liens là où ils se sont rompus. Le dilemme du roman repose sur cette entreprise hasardeuse dans un pays encore stigmatisé par les conflits reliés à l’avènement de son indépendance.

Ce suspense aux allures de polar s’enracine merveilleusement dans la mentalité africaine. Malgré la filouterie, les personnages locaux enrichissent cette histoire de filiation à un père qui a consacré sa vie à un peuple menacé d’occidentalisation, comme l’illustre le film Les Dieux sont tombés sur la tête. L’œuvre parvient à souligner les enjeux qui menacent d’extinction une culture dépendante de la musique de l'âme que le père de Kristina avait réussi à lui faire aimer. Pour cet anthropologue, les pygmées étaient les meilleurs musiciens de l’Afrique. « Que sans instrument, seulement avec leur voix, ils arrivaient à créer des mélodies complexes et même à raconter des histoires. »

Avec une plume alerte et concise, l’auteur a brossé un tableau très crédible de l’âme africaine et des relations humaines. La narration de ce voyage aux multiples détours est des plus réussie.