La diaspora des Desrosiers, tome 5 : La grande mêlée
de Michel Tremblay

critiqué par Dirlandaise, le 10 juin 2013
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Le mariage de Rhéauna
Presque toute l’oeuvre de Michel Tremblay raconte la saga de la famille Desrosiers, une famille francophone d’origine manitobaine venue habiter Montréal. D’ailleurs, en fin de volume, l’auteur a concocté une liste de ses ouvrages par ordre chronologique pour les lecteurs qui aimeraient se plonger dans cette chronique familiale rocambolesque. Le présent livre s’insère au tout début de l’histoire des Desrosiers en relatant le mariage de Rhéauna, l’ainée des filles de Maria, la serveuse du Paradise qui élève seule ses quatre enfants dans un quartier ouvrier montréalais des années vingt. Maria souhaite offrir à sa fille un mariage de rêve car pour elle, le jour du mariage doit être inoubliable et laisser des souvenirs impérissables à la future mariée pour compenser la déception et l’ennui d’une vie passée auprès d’un « trou de cul » comme elle dit… Mais pour réaliser son projet, Maria a besoin d’emprunter de l’argent, beaucoup d’argent et les démarches qu’elle entreprend lui répugnent. Ce grand événement plonge la famille Desrosiers dans l’effervescence à mesure que les cartons d’invitation parviennent à leurs destinataires. Certains hésitent à rencontrer la famille au grand complet alors que d’autres trépignent d’impatience à l’idée d’entreprendre le grand voyage jusqu’à la grande ville. Les ressentiments, les vieilles rancunes, les jalousies ne tardent pas à ressortir dans le cœur de chacun menaçant d’assombrir cette journée qui se doit pourtant d’être merveilleuse pour le bonheur de Rhéauna (Nana) et de son bien terne futur époux Gabriel, bonheur si rare et frileux dans cette famille marquée par la pauvreté et les drames.

Michel Tremblay signe ici un autre chef-d’œuvre dont l’humour savoureux vient adoucir le côté dramatique de certaines situations. Il rassemble toute la famille, décrit les préparatifs dont chacun doit s’acquitter, leur peur de mal paraître aux yeux de la famille dans leurs vêtements pauvres alors que plusieurs déploient un faste exagéré et tapageur afin de briller parmi cette petite société impitoyable dont le regard leur importe au plus haut point. Le ton est primesautier comme à son habitude et il nous présente ses personnages avec sa tendresse et sa compassion de toujours. Le tout se termine dans une véritable apothéose que constitue cette fête inoubliable rythmée par le violon de Josaphat et le piano de la tante Regina.

Bien plus qu’un roman, ce récit se veut une véritable chronique de la vie ouvrière francophone des années vingt avec ses misères et ses petites joies. Car ne nous y trompons pas, Michel Tremblay dénonce les conditions misérables qui furent celles de cette partie de la population québécoise honteusement exploitée par les patrons anglophones que ce soit avec Alice obligée de travailler dans une usine de tabac pour un salaire de misère ou bien la tante Teena, vendeuse chez Ogilvy. Les défaites et les échecs nombreux sont bien souvent noyés dans l’alcool, cette drogue qui endort l’angoisse et rend la vie plus supportable pour plusieurs travailleurs et chômeurs.

À lire pour ceux qui connaissent déjà la famille Desrosiers et pour ceux qui souhaitent découvrir cette époque difficile pour les francophones québécois dominés par l’establishment anglophone tout-puissant de l’époque.

« Ça ne sent pas bon dans le tramway. Encore heureux que les fenêtres sont grandes ouvertes. Ça sent le manque de soins corporels, les vêtements pas souvent lavés, la cigarette bon marché à la rouleuse – qu’on fabrique soi-même avec du tabac qui ne coûte pas cher -, en fait, ça pue la pauvreté. Et c’est de cette odeur-là qu’Alice voudrait se débarrasser. Elle est convaincue – même si elle sait au fond, que c’est faux – que la pauvreté sent, qu’on sait qu’une personne est pauvre parce qu’en plus de son habillement et de la honte qu’on peut lire dans ses yeux une légère puanteur se dégage de la peau. On a beau essayer de la cacher sous une couche de parfum, elle est toujours là, elle vous suit partout, elle vous trahit, elle vous annonce. »