La diaspora des Desrosiers, tome 6 : Au hasard la chance
de Michel Tremblay

critiqué par Dirlandaise, le 24 mai 2013
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
De la difficulté de changer de vie
L’univers de Michel Tremblay ressemble à un puzzle dont chaque livre constitue une pièce. Dans ce livre assez court, l’auteur met en scène un personnage récurrent répondant au surnom de Ti-Lou, une prostituée de luxe œuvrant dans la capitale nationale et ayant fait du Château Laurier sa résidence principale. Mais Ti-Lou, devenue cinquantenaire, décide de tout plaquer et de prendre une retraite bien méritée. Elle loue un appartement à Montréal afin d’y terminer sa vie paisiblement et quitte Ottawa sans prévenir aucune de ses connaissances. Elle laisse tout derrière elle et n’emporte que le strict nécessaire dans deux petites valises soit sa fortune et quelques objets de toilette dont elle ne peut se passer et commence une nouvelle vie.

Michel Tremblay s’est amusé à inventer différents scénarios au périple de Ti-Lou qu’il intitule premier hasard, deuxième hasard ainsi de suite. Certains se terminent tragiquement alors que d’autres laissent entrevoir un avenir radieux pour cette chère femme friande de « Cherry Delights ». L’écriture de monsieur Tremblay est toute simple et lumineuse. L’histoire se passe dans les années vingt alors que les automobiles commençaient tout juste à remplacer les calèches et qu’on circulait à Montréal en tramway. La mode est aux robes droites et aux chapeaux cloches, on parle anglais à Montréal et se faire servir en français relève du défi. Les mœurs sont austères et une femme seule n’est pas acceptée dans les bars chics. Ti-Lou doit affronter le regard des bien-pensants mais cette femme d’un courage exceptionnel fait face à l’adversité avec détermination. Un seul ennemi la fait chanceler : la solitude.

Je suis une inconditionnelle de Michel Tremblay, je savoure chacun de ses livres avec un bonheur indicible. Encore une fois, je n’ai pas été déçue par mon écrivain de prédilection. Sans être un chef-d’œuvre, ce livre m’a fait vivre des instants magiques comme toujours avec lui mais, il faut connaître un tant soit peu l’univers romanesque de l’auteur pour bien apprécier ce roman car il s’agit d’une pièce ajoutée à un puzzle romanesque unique dans le paysage littéraire québécois. Le personnage principal est flamboyant, hors normes, n'arrive pas à se fondre dans la société et passer inaperçu. Mais c'est une caractéristique des personnages de l'auteur, ce malaise, cette impression de n'appartenir à aucun milieu, d'être toujours de trop, jamais accepté ni aimé. Alors pour se défendre, pour exister, il faut se battre envers et contre tous et surtout ne jamais laisser deviner son angoisse intérieure qui ronge l'âme et dévore le coeur. Sublime et pathétique tout à la fois ! Du Michel Tremblay dans toute sa splendeur.

« La folie n’est-elle pas la fille de l’oisiveté ? Alors pas d’oisiveté. Jamais. Toujours s’occuper. Comme là, tout de suite, trouver quelque chose à faire, déballer les paquets qu’elle a rapportés de la rue Mont-Royal et qui contiennent un embryon de garde-robe, le strict nécessaire, sous-vêtements, robes de maison, pantoufles, articles de toilette. Non. Elle n’y arrivera pas. Elle est faite pour autre chose. Une autre vie. Pas pour cette fin-là. Elle n’est pas faite pour cette fin de vie là. Pour se persuader de ne pas sauter sur ses sacoches d’argent et courir à la gare Windsor prendre le premier train pour chez elle, Ottawa, la suite du Château Laurier, les draps imprégnés de son cher gardénia, les bras des hommes odorants et ingrats, elle place sa main droite à plat contre le miroir. Et contemple pendant de longues minutes les veines bleutées et les vilaines tavelures, les marques inconditionnelles du vieillissement. Si le reste peut tromper, pas ça. »