L'oblat
de Joris-Karl Huysmans

critiqué par Macréon, le 7 mars 2003
(la hulpe - 90 ans)


La note:  étoiles
Du naturalisme à la religion en passant par le diable
Le parcours littéraire de Joris-Karl Huysmans, né de père Hollandais, n'est pas banal. Il se rallie d’abord au mouvement naturaliste se concrétisant par la parution, en 1880, d’un recueil de nouvelles de six auteurs rassemblés autour d’Emile Zola: les Soirées de Médan. Ces nouvelles étaient toutes consacrées à la guerre franco-allemande de 1870. Les principaux naturalistes furent Maupassant, les frères Goncourt, Georges Darien, Octave Mirbeau, Jules Vallès. et même Jules Renard. Ces écrivains utilisaient volontiers des termes recherchés, des néologismes, étaient attirés par le goût du bizarre et du délétère. Après avoir écrit quelques livres dans cet esprit, Huysmans rompt avec Zola et publie quatre livres qui annoncent l'amorce d'un cheminement vers une conversion au catholicisme :A Rebours,(1884) En route, (1895), La Cathédrale, (1898) et enfin L'Oblat (1903). Du naturalisme, il gardera le goût de la précision documentaire, du style “objectif," réaliste et même cru. Il publie aussi, en 1906, “Foules de Lourdes", une satire de ce lieu de pèlerinage.
Auparavant, il avait publié Là-Bas,(1891) oeuvre étrange consacrée à l’occultisme,aux sectes infâmes et sataniques, à Gilles de Rais (un chapitre fascinant). “Huysmans est venu à Dieu par le diable."
En mars 1901, Huysmans reçoit l’oblature à Ligugé , état pourtant tombé en désuétude.
L'oblat est un “laïque vivant dans un couvent auquel il a donné ses biens."
En quelque sorte un moine laïque, participant aux offices et à la vie quotidienne des religieux, en l’occurrence les bénédictins. avec “ quelques facilités discrète." Comme l'explique Henri Guillemin dans un article assez acide, “ l'oblature comporte les voeux partiels “les plus partiels possibles." Pour lui, le catholicisme qui intéresse Huysmans ne se réfère pas beaucoup aux Evangiles. Léon BLum, en 1903, doutait aussi des convictions de l’écrivain, “ épris de liturgie plutôt que de religion." Huysmans a sans nul doute été fasciné par la beauté de l'art chrétien, tel qu’il s'est épanoui au Moyen-Age, dont il apprécie l’architecture, la peinture, le chant grégorien et la liturgie (la bonne ) remise à l’honneur par Don Guéranger. Les Bénédictins l'attiraient parce qu'ils laissent une très grande place au travail intellectuel, aiment le chant sacré et pratiquent une observance plus douce.
La conversion - sincère- de l'écrivain se situe bien sûr dans le contexte de l'époque , marquée par l'expulsion de France des congrégations religieuses, expulsion qui ne le poussera pas néanmoins à rejoindre les Bénédictins réfugiés par exemple au sein de la déjà prospère abbaye de Maredsous . Huysmans rentrera à Paris.
"Je suis pour l’art du rêve autant que pour l’art de la réalité." Dans son livre L'Oblat, les descriptions des séjours de l’écrivain à Ligugé, au milieu des moines érudits, procèdent effectivement du reportage littéraire de haute qualité, avec de savoureux et passionnants dialogues entre Durtal ( son double) et un vrai personnage de roman à savoir Madame Bavoil, celle-ci se nourrissant de pain et d’eau, d’une foi naïve et singulière d’un autre temps.
C'est le charme de ce livre, qui exploite à fond un sujet jamais traité. L'écrivain avait écrit en 1891: “tout est si épuisé, si éculé dans le roman moderne qu’il faut bien tenter l’aventure de hauts sujets, quitte même à les rater."
“L’Oblat" n'a pas été raté, c'est un chef-d'oeuvre dont nous recommandons la lecture à ceux qui n’ont pas d’oeillères et sont attirés par la riche littérature de la fin du XIXe siècle. Lorsque cet ouvrage parut, on affirme qu’il fut à l'origine de plusieurs vocations de religieux et c’est sans doute la raison pour laquelle Léon XIII empêcha que le livre ne fut mis à l’index. L'auteur, pourtant, ne ménage guère certaines institutions catholiques, les dévots, les magasins d’objets religieux du quartier Saint-Sulpice.
Ses dialogues avec Madame Bavoil, conversations vivantes, sont en fait des échanges d'idées où le pour et le contre des opinions religieuses de ce temps-là sont exposées sans fard mais avec brio.
Descriptions et climat créés par ce magicien des phrases d'ailleurs hautement apprécié par Paul Morand, Gide et d’autres."Huysmans est un oeil", dira Remy de Gourmont. Zola lui-même : “ La vie entre en lui par les yeux. Il traduit tout en images. Il est le poète excessif de la sensation."
Critique d’art aussi, virulent mais clairvoyant ( Le Drageoir aux épices, 1874), découvreur des impressionnistes comme Edgar Degas, Claude Monet, Odilon Redon, Camille Pissarro.
Huysmans mourut à 51 ans d'un cancer de la gorge, dans d'atroces souffrances, supportées stoïquement dans la lumière apaisée de sa foi. Joris-Karl Huysmans fait partie de l’histoire de la littérature française.
Fin de parcours 10 étoiles

Après "En Route" qui montrait le personnage de Durtal (alias Huysmans, personnage déjà le héros de "Là-Bas") redécouvrir la foi catholique au travers d'une petite retraite dans un couvent de Trappistes austères, et après "La Cathédrale", dans lequel Durtal, installé à Chartres, dépliait par le menu la gigantesque et magnifique cathédrale, la décrivait avec moult détails, afin de parfaire sa science liturgique et artistique, Huysmans nous livre ici, avec "L'Oblat", le final de sa trilogie. Ici, Durtal, installé près de Dijon dans un couvent de bénédictins (à la discipline plus pépère que chez les Trappistes), décide de se faire oblat, autrement dit, un moine laïc (ce que Huysmans devint à l'époque : début du XXème siècle, quelques années avant sa mort).
Le résultat en est un roman incroyable, maillon final et aucunement faible d'une trilogie (quadrilogie, en fait, en comptant "Là-Bas" en guise de prologue) admirable. Certes, ce n'est pas léger et joyeux, il est déconseillé de découvrir Huysmans par ce roman, mais si vous avez lu et aimé "En Route" et "La Cathédrale", "L'Oblat" ne pourra que vous combler. Encore une fois tout simplement sublime.

Bookivore - MENUCOURT - 42 ans - 21 mars 2015