L'art de l'insulte : Une anthologie littéraire
de Collectif, Yann Legendre (Dessin)

critiqué par AmauryWatremez, le 15 mai 2013
(Evreux - 55 ans)


La note:  étoiles
Insulter un art ?
Je demanderai aux parents responsables d'éloigner les enfants de l'écran, car je suis un auteur responsable et citoyen, voire aux enfants d'éloigner les parents sous un prétexte quelconque et de s'instruire, car ce petit texte est très mal élevé, voire carrément grossier pour les arbitres des élégances qui j'en suis sûr me tomberont sur le râble, que j'ai large, après l'avoir lu, mais il est je l'espère rempli de cet humour glacé et sophistiqué qui me caractérise.

Ami lecteur, ami lectrice ; vous qui me connaissez bien, je sais que vous ne m'en tiendrez pas rigueur.

On ne dit pas de gros mots, on dit bonjour à la dame, on respecte l'autre, (Respect, mis à toutes les sauces, que de crimes l'on commet en ton nom), on parle gentiment aux cons, et on n'élève pas la voix devant monsieur le président d'opérette de pétaouschnock même quand il dit des bêtises plus grosses que lui. On ne contredit pas le énième sauveur de la France, on ne se moque pas de l'intellectuel qui veut faire peuple, ou qui joue les Beau Brummel.

On se tient à carreaux socialement, ce qui n'empêche pas la grande comédie de l'indignation imposée et obligatoire, on joue son rôle, comme ces gosses qui donnent envie de pleurer quand on les croise dans la rue, soumis comme leurs aînés aux modes les plus crétines, au grégarisme le plus bovin, renvoyant l'image que l'on veut qu'ils renvoient.

On me dira, eux aussi pratiquent l'injure qui se banalise, devient courante, souvent j'ai cru que « bâtard » ou « salpédé » était leur nom de famille.

Car au fond, cette époque qui se pique de libertés est en fait également une époque de moralisateurs fous et dégénérés qui ont tous en commun la même haine de la littérature qui ne peut à les entendre pas parler de tout, à croire que pour eux la vie est ou ne devrait être qu'un chemin de pétales de roses, une clairière ensoleillée ou tout n'est guimauve, mièvrerie et mignardises.

Il y a bien des clairières dans une vie, quelques unes, mais c'est plutôt sexe, merde, foutre, douleurs et sang, avec un peu d'espérance, mais si peu, la vie mes agneaux, et non une sorte de joie extatique, et narcissique, et désincarnée sans limites. Notre époque n'aime pas le réel, la merde, le foutre, le sang, les entrailles, la souffrance, et la mort, elle cache bien tout ça sous le tapis tout comme la dérision qu'elle exècre, surtout pas de dérision, surtout ne pas tourner les certitudes en dérision.

Et des certitudes, notre époque de cloportes n'a plus que ça...

Et l'avidité.

En matière de moralistes, tout le monde n'a pas le talent de la Rochefoucauld, Bossuet, qui ne s'est jamais priver d'enguirlander sans fards les puissants du Royaume, tout comme Boileau ou Evelyn Waugh, voire dans un autre genre, Marcel Aymé qui ne se perdait pas en sermons quand il observait les hommes et les femmes ces pitoyables primates qu'il aimait quand même.

Quant aux âmes pieuses et spirituelles, déjà dans le sein du puissant, du très Haut, du miséricordieux, leur miséricorde étant grande justement, elles ne m'en voudront pas j'en suis certain, de cette chronique irrévérencieuse et épicée écrite un « samedi saint », ce qui est très mal j'en conviens mais je ne pouvais résister à cette tentation, et comme chacun sait le meilleur moyen de résister à la tentation c'est encore d'y céder.

Je viens de lire les pages roboratives de cet ouvrage, « l'art de l'insulte », paru chez « Incultes », ressorti depuis en « 10/18 », qui en ces temps d'aseptisation tout azimuts et de décervelage intensif fait du bien.

Celui qui apporte la contradiction, l'opinion bien affirmée, une personnalité s'affirmant hors norme est forcément un être mauvais, malsain, jaloux, envieux, et j'en passe et des meilleures.

Celui écrit trop salé, parle trop fort, au-dessus du murmure indistinct et continuel du troupeau, est un malveillant, un mauvais, un bandit.

L'injure c'est mal, l'injure ce n'est pas bien, et bien sûr avec une ou deux injures bien placées on peut tuer plus sûrement qu'avec une épée fût-elle à deux tranchants. Ce qui est vrai, mais c'est un risque à prendre quand on a du caractère et un rien de personnalité.

La colère et les injures bien trempées, ce n'est d'ailleurs pas incompatible avec la foi chrétienne et la pratique de la charité évangélique, Léon Bloy, le « mendiant injuste », tout comme Bernanos ont eu de ces fureurs presque sacrées qui rappellent deux ou trois évidences aux imbéciles qui ne veulent surtout pas les voir : pour l'un la sottise monumentale des bourgeois positivistes et industrieux, hypocrites et veules, et leur société de porcs, pour l'autre la vacuité et la nullité absolue de ce que d'aucuns ont cru appeler le progrès des consciences, sans oublier Barbey qui a le sens de l'injure et de la formule assassine.

Le Christ lui-même s'emporte après les marchands du temple, et aussi quand il entend ses apôtres se chercher des poux pour savoir qui sera le chef.

Les grands sensibles, les blessés de l'âme, les écorchés vifs du cervelet font de grands artistes dans l'insulte, à eux on leur pardonne aisément.

Quand en plus ils auraient du style, il est plus élégant d'en rire.

Au XXème siècle, celui qui a le plus de talent en la matière est Céline, à commencer par la lettre drolatique et inspirée qu'il écrivit à « l'agité du bocal », celui prenant les ouvriers pour des cons, leur cachait ce qui se passait en Russie soviétique, j'ai nommé Jean-Paul Sartre, icône inattaquable du Bien actuel contrairement à Céline qui sent toujours le soufre du fait de sa compulsion antisémite.

Le soufre, le soufre c'est d'ailleurs vite dit car certains anti-sionistes de pacotille le trouve fort sympathique pour sa réputation et cette compulsion détestable, sans avoir lu d'ailleurs pour la plupart une seule ligne à Ferdine.

D'autres grands spécialistes de l'injure bien sentie, de la colère canaille, ce sont aussi les écrivains éthyliques comme Antoine Blondin, qui provoquaient des bagarres homériques dans les troquets de la rue Bonaparte (un jour il décide qu'il n'aime pas les auvergnats et se lance dans la déclamation d'un sonnet contre les auvergnats croyant ennuyer le patron du rade, qui était berrichon, qu'à cela ne tienne, l'apprenant, Blondin se lance derechef dans une autre tirade encore plus incendiaire contre les berrichons), et bien sûr Bukowski, autre emmerdeur magnifique, ou bien sûr ce voyou de Jean Genet, voyou comme Rimbaud ou Baudelaire, ou Verlaine et même un musicien raffiné comme Satie qui a l'injure posée et presque bien élevée , « anglaise » comme il le prétend, mais bien claire cependant, et sonore.

Jusqu'à un certain point, les injures, les insultes, car il s'agit de savoir « jusqu'où on peut aller trop loin » ainsi que disait Cocteau, et qu'il vaut mieux éviter de blesser trop grièvement l'insulté.

L'humour ou la finesse d'esprit n'empêche pas de toutes façons d'avoir la tête près du bonnet et de pouvoir exiger un jour ou l'autre explications, engueulades, voire cuites partagées, ce qui permet d'arrondir les angles et de relativiser une brouille qui devient une broutille (un « t » suffit) ou une simple fâcherie.

On va dire, c'est encore une manière de te passer la brosse à reluire, j'assume bonnes gens, j'assume, car en la matière, je pense posséder clairement quelques facultés pas données à tout le monde, on me l'a déjà dit d'ailleurs, je me complais dans la polémique musclée, la provocation face aux beaux esprits, et plus grave encore dans la dérision des idées portées aux nues par les bigots de toutes causes, qu'elles soient religieuses, personnelles ou idéologiques..

Aux autres, légions sur le net, mais pas seulement, qui injurient au premier degré pour la plus grande gloire de leur gourou, leur grand homme, leur grande femme, leur démago préféré, en meute, en horde, raclures de nazillons, boutures de miliciens de mes deux, fanaticophiles à la noix, sionistes décérébrés, « laveurs de carreaux » puceaux angélistes, larbins ploutocratophiles, ou ersatz puants de commissaires politiques hermaphrodites, on leur conseillerait aimablement d'utiliser, si ça peut être un effet de leur bonté, leurs injures minuscules, aussi sordides que des virgules de merde sur les murs des toilettes publiques de la gare Saint Lazare, on leur suggère de les utiliser en onguent pour les hémorroïdes, ces clowns sinistres, ces VRP de la pensée proprette, bref de se les carrer dans le train, même si leurs injures ne sont au fond que des toutes petites piqûres de moustiques, des chiures de mouches, des micro-estafilades.