La maîtresse d'école : Trente années de la carrière d'une institutrice
de Robert Massin

critiqué par JulesRomans, le 9 mai 2013
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Quand l'écolier se déshabille, de ses habits tombent des billes (Nougaro)
Trois thèmes tous bien agencés s’entremêlent : un récit familial, les deux guerres mondiales, l’école de l’Entre-deux-Guerres. Un magnifique ouvrage pour le contenu écrit et les illustrations, une fois de plus on nous a dispensés d’une table des matières et on doit le regretter.

L’auteur raconte la vie de Palmyre sa mère (née en 1890) fille d’un agriculteur et d’une cafetière-épicière, épouse d’un instituteur mort au champ d’honneur, que les hasards de la Première Guerre mondiale font rencontrer Henri Massin, un natif de Cambrai (de sept ans son aîné) tenant avec son père une entreprise de marbrerie dans un village de la Somme alors occupé par les Allemands. L’épouse d’Henri a un enfant d’un feldwebel (ce qui à l’époque équivalait à adjudant) ; c’est le divorce qui s’en suit. Mis-à-part en gros l’année 1921 où le jeune nouveau couple (les parents de l’auteur) réside dans la Somme, le reste du temps l’action se déroule soit dans la Beauce, soit aux confins de la Beauce et du Perche c’est-à-dire toujours en Eure-et-Loir.

Très documenté les chapitres sur l’école se succèdent, ils s’appuient sur les outils pédagogiques ou culturels qu’avait conservés (de sa mère) l’auteur et la mémoire de ce dernier. Aucun impair au point de vue de la datation des usages, seulement une ambiguïté avec "Le Tour de la France par deux enfants". Après les nouvelles instructions officielles de 1923, sauf auprès de rares enseignants parmi ceux ayant commencé leur carrière avant 1910 ou ceux vivant avec une mairie hostile à l’école publique qui refuse le renouvellement des manuels (nous avons rencontré des cas de ce genre en Vendée), il n’y a plus de lecture de ce roman scolaire dans les écoles publiques.

Par contre ce livre reste dans la bibliothèque de l’école et il peut être en être fait usage par l’enseignante pour la lecture d’extraits qu’elle donne elle-même à voix haute le samedi. Les romans scolaires parus entre 1920 et 1940 sont très nombreux et on ne sait pas lequel eût la préférence de Palmyre Massin. Toutefois on peut faire l’hypothèse que ce fut soit "Les Yeux clairs" soit "À l’ombre des ailes" écrits par E. Pérochon car à la page 10 une phrase nous dit que pour ses lectures personnelles parmi les auteurs régionalistes elle avait une préférence pour Ernest Pérochon. Ce peut-être également "Histoire de 3 enfants" de Kléber Seguin comme le laisse supposer la présence d’autres ouvrages de cet auteur dans les cours de notre institutrice.

Les années 1920 et 1930, sont des années où une importante rénovation des contenus et des méthodes se réalise (mais à l’époque on ne médiatisait guère cela) et la présentation page 71 d’un ouvrage tel que "En riant la lecture sans larme" est très significative ; on voit des titres de manuels de mathématiques ou d’apprentissage de la lecture renvoyer à des mots comme par exemple "en s’amusant".

Les chapitres consacrés uniquement à la vie de l’école et de l’institutrice (également secrétaire de mairie) se succèdent donc et des anecdotes significatives, ainsi l’on sait que les enfants ne comprenaient souvent pas des morceaux entiers des poésies qu’on leur faisait apprendre. L’un d’entre eux qui récitait "Les deux chemins" que nous donnons plus loin, commençait invariablement par « Un enfant boulouloute » ce qui aurait dû être « Un enfant, au bout d’une route ». Il y gagna un surnom qu’il garda vraisemblablement à l’âge adulte.

En janvier 1939 Marc Villin est nommé inspecteur primaire de la circonscription de Nogent-le-Rotrou, qui compte quatre-vingt communes du Perche et de la Beauce, il y reste durant toute la Seconde Guerre mondiale. Ce sera donc le dernier fonctionnaire à inspecter notre personnage. Si au regard du document page 118 et de l’affirmation page 39, il apparaît que c’est à l’été 1946 que Palmyre Massin prend sa retraite (la lettre d’adieu page 142-143 à son école n’est malheureusement pas datée), dans la préface de Pierre Nora donne 1947 comme l’année où elle quitte ses fonctions.

Cette information sur l’identité de celui qui rédige plusieurs bulletins d’inspection présentés, que nous avons personnellement recoupée, est intéressante dans la mesure où Marc Villin appartient à une famille d’instituteur et qu’il a coécrit un ouvrage édité à l’identique sous deux titres en 1987 et 1990 "La Galerie des maîtres d’école et des instituteurs 1820-1945", puis en 1998 il est devenu "La Naissance de l’instituteur". Il consacre plusieurs pages intéressantes à son séjour dans l’Eure-et-Loir et en particulier il aborde à ce propos la politique scolaire entreprise sous les gouvernements de Vichy et la répression dans le milieu enseignant. "Un passé pas si simple" (avec une action en Auvergne) recoupe lui en grande partie la période évoquée par "La maîtresse d'école : Trente années de la carrière d'une institutrice" de Robert Massin.

Autre clin d’œil entre les deux ouvrages, à sa lecture on peut découvrir le prénom d’un auteur dont la mère de Robert Massin utilisait nombre de manuels ; ce K. Séguin qui intrigue tant notre auteur renvoie à Kléber Seguin dont une présentation très intéressante est faite à la page http://lewebpedagogique.com/mlsyonne1/2011/… . Il se trouve que Kléber Seguin fut plusieurs années à Paris l’inspecteur de Marc Villin.

Les rapports d'inspection sont intéressants car ils pointent en particulier des demandes de rénovation pédagogique de l’institution en rapport avec de nouveaux textes parus en 1938 sous la plume de Jean Zay. À cette époque, plutôt que de démissionner et écrire un pamphlet, comme on le vit faire par une autre environ un demi-siècle après, Palmyre Massin demanda des conseils et fit des suggestions à l’inspecteur primaire de Nogent-le-Rotrou. Ce dernier lui répondit qu’il lui faisait confiance pour adapter avec souplesse les programmes et instructions car « C’est un vrai "crime pédagogique" que de ne pas arriver à intéresser les élèves, il faut soit modifier, soit supprimer et faire ce qui les intéresse le plus ».

Par ailleurs on voit que cette école qui semble au départ à deux classes était mixte ; après 1920 quand il n’y avait plus qu’une seule classe de garçons et une seule classe de filles on choisissait cette organisation qui permettait de mettre les enfants d’âge maternelle avec ceux du CP d’un côté et les plus grands dans l’autre classe. Il semblerait qu’en fin de carrière, Palmyre Massin ait eu une classe unique.

Page 105 la phrase de Marc Villain « Madame Massin, mise à la retraite en application de la loi d’octobre 1940, a obtenu l’autorisation de continuer d’exercer » mérite explication. En effet outre de chasser juifs et francs-maçons de l’enseignement (dont Kléber Seguin membre du Grand-Orient), le gouvernement de Vichy envoya d’office à la retraite toutes les institutrices de plus de cinquante ans. Veuve de guerre, Madame Massin a pu obtenir de ce fait selon nous une dérogation au principe de favoriser le retour de la femme au foyer.

Publié à l’orée de la Belle Époque en 1893 dans "Pour nos chers enfants" chez Nathan (avec une préface de François Coppée), le poème dont Robert Messin ne retrouve pas l’auteur est d’Octave Aubert (plus connu pour ses ouvrages sur la Bretagne et les Bretons dont "Le Livre de la Bretagne, recueil de morceaux choisis d'auteurs ayant écrit sur la Bretagne, à l'usage des enfants des écoles primaires et primaires supérieure" que pour ses fables). Il a été repris pages 45-46 en 2002 dans "Souvenirs d’un homme dont la mémoire flanchait" un titre paru sous le pseudonyme collectif de Ludovic Recrop (le texte précise qu’il a été appris par un des trois auteurs dans les Années folles) et auparavant par Gaston Bonheur dans son livre si intéressant "Qui a cassé le vase de Soissons ?". Il est le reflet d’une époque où l’application des lois Jules Ferry d’obligation scolaire était loin d’être rigoureuse et où il fallait convaincre parents et enfants de l’utilité de l’école. Le voici :

« Les deux chemins

Un enfant, au bout d’une route,
Trouva tout à coup deux chemins.
Il s’arrêta, rempli de doute,
Roulant son chapeau dans ses mains.
Fallait-il prendre à gauche, à droite,
Ou bien rester là jusqu’au soir?
Sur un arbre, une planche étroite
Portait un avis peint en noir.
Mais l’enfant ne savait pas lire,
Il eut beau se gratter le nez,
La planchette ne put lui dire
" C’est par ici, petit, venez! "
Par bonheur une paysanne
Vint et le tira d’embarras.
Elle lui dit : « Suis bien mon âne,
Et jamais tu ne te perdras. »
Le jeune enfant baissa la tête,
Et contre lui-même il boudait
D’être conduit par une bête
Et d’être plus sot qu’un baudet.
Si tu veux connaître la route,
Mon petit, quand tu seras grand,
Instruis-toi bien, car il en coûte
De passer pour un ignorant ».

Ce livre "La Maîtresse d’école : Trente années de la carrière d’une institutrice" est facile à lire mais exigeant envers la qualité des informations qu’il distille. Il ne mérite que des éloges ; c’est pour ne pas lasser nos lecteurs que nous avons fait le choix de ne pas énumérer tous les documents très pertinents qu’il propose. C’est toute une atmosphère qui nous prend et les divers musées sur l’école d’autrefois gagneraient à le proposer à la vente dans leur boutique. Il est à noter que Chartres préfecture d’Eure-et-Loir compte l’un d’entre eux. On complètera cette lecture par "Dans la cour de l’école : les jeux de l’enfance au temps du certif ".