Journal impoli : Un siècle au galop, 2011-1928
de Christian Millau

critiqué par Amalia, le 8 mai 2013
(Cagnes sur Mer - 69 ans)


La note:  étoiles
Quelle belle allure !
Etonnant et enchanteur écrivain tel est Christian Millau. Loin de l’étiquette de critique gastronome qui colle à sa réputation -il y a plus de vingt ans qu’il a cédé ses parts du guide « Gault et Millau »- on savoure dans ce « journal impoli » les impertinences du Christian Millau qui a connu maints acteurs de la vie politique et littéraire, du monde du cinéma, qui a suivi les grands procès de l’histoire contemporaine, qui a parcouru la terre entière et qui a l’élégance de s’effacer pour ne parler que des autres.

Habile originalité pour remonter le cours des décennies, Christian Millau prend le prétexte d’écrire quotidiennement sur l’actualité de l’année 2010. Tel fait du jour lui inspire un commentaire et l’amène à évoquer telle autre aventure, à la même date, mais des années en arrière. Ce Hussard saute par dessus les petits comme les grands évènements. Curieux, sans conformisme ni préjugés, il livre avec humour ses humeurs, ses préférences et ses aversions.

A savourer par exemple sa collaboration avec le géant Orson Welles : 1958, le génial Citizen Kane a décidé de filmer le Hong Kong secret , il est sur place, il a besoin d’un guide. Le hasard fait qu’il croise Christian Millau logé au même hôtel, trois whiskies et l’affaire est conclue, « pendant un mois nous avons déambulé, de fumeries clandestines en bordels, de camps où d’anciens généraux de Tchang Kaï-chek brodaient de pyjamas d’enfants ...» La fin de l'épisode est savoureuse, désopilante et humble de la part de l’auteur.

Des commentaires plus irrévérencieux émaillent ces 700 pages. L’écrivain peut avoir le coup de griffe d’apparence anodine mais qui assassine gentiment. Tiens, sa rencontre avec Bernard Tapie qu’il croise à Monaco. Christian Millau attend dans un hall sa femme, il est avec son chien aimé, adoré (tout maître comprend ce genre d’amour), Tapie s’approche, complimente la beauté de l’animal et tout à trac balance :
«- Vous en voulez combien ?
- Que voulez-vous dire par là ?
- Je veux dire que je vous l’achète.
Je l’aurais étranglé. Il est vrai que, quand on achète des équipes de football pour qu’elles perdent, pourquoi pas le chien d’un type rencontré par hasard ? »

Le ton peut être grave aussi, comme lorsqu’il évoque les procès des généraux de l’ OAS et celui de Bastien-Thiry. A propos de Salan il écrit : « Au mot Indochine Salan a pleuré. Son pays de cœur c’est l’Indo. Sa blessure inguérissable, c’est l’Indo. En voyant son visage baigné de larmes, on oublie, pour un instant, le fracas de la voiture piégée qui a tué sur le port d’Alger, soixante-deux pauvres bougres de dockers musulmans et l’on a envie de tendre la main vers le soldat des rizières » Sur Bastien-Thiry, le dernier des fusillés, l’auteur rappelle les paroles glaçantes du Général « chaque peuple doit avoir ses martyrs. Bastien-Thiry avait quelque chose de romantique. Ce sera un bon martyr ».

Ces centaines de chroniques émeuvent, font éclater de rire ou ébahissent. Dans cette galerie de portraits le lecteur sera sans doute « surpris qu’un amateur d’oreille de cochon à la dijonnaise ait l’outrecuidance de parler de Cendrars, Nimier, Giono, Léautaud, Chardonne ou Céline ».

Il y a du Cyrano dans ce Hussard. Un Hussard qu’on a envie d’embrasser tant on est heureux de rencontrer « un Français qui refuse de marcher au clairon du prêt à penser ».


(les textes placés entre-guillemets sont tous de Christian Millau)