Les affaires de la IIIe République, 1871-1940
de Claude Dufresne

critiqué par Shelton, le 5 mai 2013
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Excellent et bien d'actualité !!!
Nous vivons des temps troubles, on sent comme un rejet de tous les politiques, de tous les partis et même une suspicion semble tomber sur l’ensemble de tous ceux qui nous entourent… N’y aurait-il que des pourris dans ce royaume de France ? La corruption se serait-elle généralisée ? Le régime – cette fameuse cinquième République – serait-il gangréné et condamné à mort ? Ne craignez pas de ma part une chute dans l’enfer du désespoir ou un glissement progressif au sein du paradis des extrémistes ? Non ! Je veux simplement, aujourd’hui, vous montrer que des régimes délétères et pernicieux, il y en a eu beaucoup d’autres, en France en particulier et pas seulement dans les temps les plus lointains… La IIIe République, c’était hier et ce ne fut pas rose tous les jours…

Pour vous en parler, de cette troisième République, j’aurais pu prendre un ouvrage à charge, il n’en manque pas. Je pense à Panorama de la IIIe République de Léon Daudet ou La troisième République de Jacques Bainville… On ne pouvait pas attendre une analyse objective de deux pourfendeurs de la Gueuse, deux royalistes déclarés, quoique, si on reste un tant soit peu objectif, un grand nombre de leurs remarques sont pertinentes et méritent d’être entendues pour comprendre cette période. J’aurais pu, dans un autre camp, choisir la biographie Emile Combes de Gabriel Merle. Il s’agit d’un travail de qualité mais qui pour certains ferait un peu trop la part belle au « Petit père Combes », l’homme de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Enfin, j’aurais pu limiter mon choix à un ouvrage plus neutre, plus classique et universel comme La troisième République de Pierre Miquel. Mais, je vous avoue que le livre a un peu vieilli et que j’ai voulu trouver un ouvrage plus attrayant, plus agréable à lire et solide sur le fond, aussi…

J’ai donc choisi Les affaires de la IIIe République de Claude Dufresne. Cet auteur était bien connu des auditeurs de Radio France, où il a travaillé de longues années, et des lecteurs qui ont fréquenté ses biographies d’Offenbach, Chopin, George Sand, la reine Hortense… J’ai pris ce livre de 2008 parce que je l’ai adoré et aussi pour rendre hommage à son auteur qui est décédé en 2011… C’était donc hier !

Dans cet essai, Claude Dufresne choisit certains scandales de cette République, ceux qui, d’après lui, devraient pouvoir nous en apprendre sur les hommes, sur les politiques, les institutions, la justice, les partis, notre histoire… Il a donc retenu le trafic de légions d’honneur, Panama, les fiches d’officiers durant la période chaude de la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la fameuse Banquière, Joseph Caillaux et Stavisky. Le programme est alléchant, passons à table !

Qu’apprend-on de nouveau dans cet ouvrage ? Tout dépendra de votre niveau de connaissances en histoire car je pense que certains d’entre vous connaissent déjà bien l’affaire Stavisky, par exemple ou celle de notre Banquière grâce au film qui eut en son temps beaucoup de succès… Mais si je vous demandais ce qu’a été ce scandale des Légions d’honneur ? Je vous sens moins à l’aise d’un seul coup… Reconnaissons que ce n’est pas celui dont on parle le plus à l’école…

Il faut dire que dans ce scandale de la troisième République ce n’est pas au premier abord le plus important. En fait, si on prend le temps de bien le comprendre, c’est plutôt affligeant et annonciateur de presque tous les autres dysfonctionnements de cette République. Tout d’abord, un président élu par défaut, qui n’a aucune qualité ou compétence requise pour diriger la France, dont l’objectif majeur est de ne pas faire de vague, de se maintenir au pouvoir et d’attendre tranquillement la retraite… il est élu par hasard, sans vraiment l’avoir voulu et il est entièrement dépassé par les évènements… Le problème n’est encore là que secondaire mais il a un gendre, un certain Wilson, un brasseur d’affaires en tout genre dont l’honnêteté n’est pas la qualité essentielle. Pour que les affaires fonctionnent mieux il élit domicile à l’Elysée et pour arrondir les fins de moins il va mettre en place un grand système pour faire obtenir la légion d’honneur, moyennant finance, à tous ceux qui en rêvent… Cette distinction est très convoitée à l’époque et ça n’a peut-être pas si changé que cela… Les affaires fonctionnent très bien !

Le pauvre président Grévy ne voit rien, n’entend rien, ne veut pas donner de crédit à tous ceux qui lui susurrent que son gendre est une crapule et le commerce perdure jusqu’au moment où l’on atteint le scandale public…

Là où il faut s’arrêter un instant, c’est sur ce qui se passe quand la justice prend le dossier en main… L’affaire est gravissime, il y a trafic d’influence, financement et enrichissement frauduleux, corruption du système par un membre de la famille présidentielle, escroquerie et j’en passe et des meilleures… Et, pourtant, ce fameux Daniel Wilson sera innocenté en appel ! Jules Grévy, lui, poussé à la démission qu’il refuse dans un premier temps, finira par partir, se retrouvera dans son Jura natal et y décèdera d’une pneumonie… La république venait de montrer d’une part ses faiblesses, sa façon de rendre la justice quand il s’agissait d’un puissant ou d’un proche, et on dit même que c’est à cause de Grévy que les scandales s’enchaineront, que le régime s’affaiblira et que l’on arrivera, finalement, à une troisième République qui donnera les pleins pouvoirs à un certain Philippe Pétain… Mais c’est une autre affaire…

Voilà, un excellent livre qui se lit comme un roman mais qui est bien détaillé et appuyé sur une forte documentation. Vous allez en apprendre beaucoup et vous vous mettrez, si non à relativiser, du moins à comprendre que ce qui se passe aujourd’hui est bien dans la lignée de ce que la France a connu depuis des siècles : il y a des dirigeants honnêtes et d’autres malhonnêtes. Les différents régimes n’ont rien changé à cela et on peut imaginer que même au fond des grottes paléolithiques il devait bien y avoir des chefs de clans peu regardants avec la morale… Bafouer l’éthique politique n’est pas une nouveauté ce qui ne signifie pas qu’il faille accepter tout cela…

Connaître notre histoire ne nous protège pas du futur, cela peut quand même nous aider à mieux choisir ceux qui iront prochainement tenir les mairies, écrire et voter les lois, résider à l’Elysée…