Les voix du Pamano
de Jaume Cabré

critiqué par Maclure, le 3 mai 2013
( - 69 ans)


La note:  étoiles
Quelques efforts .....Superbement récompensés !
L'Histoire se passe dans un petit village des Pyrénées catalanes , La guerre civile et le franquisme ont laissé des traces et des rancoeurs, Une jeune institutrice découvre dans l'école 4 cahiers cachés derrière un tableau. Ces cahiers vont faire revivre l'histoire de ce village et plus particulièrement celle d'Oriol Fontelles , instituteur phalangiste . Comment ce jeune instituteur tout nouveau dans la région avec son épouse en est-il arrivé à fréquenter l'ancien maire franquiste ?
Il en est de ce bouquin comme d'un superbe paysage de montagne, Avant d'avoir devant soi un panorama grandiose il faut d'abord crapahuter , marcher …. et parfois un peu galérer . Mais quand on est en haut c'est le bonheur !
Entre une multiplicité de personnages qui nécessite quelques retours en arrière et un procédé narratif assez surprenant il faut serrer les mâchoires les 3, ou 4 premiers chapitres.  
Passé ce cap c'est un vrai plaisir de lecture , on est pris par les personnages complexes, par une histoire qui donne envie d'avancer pour connaître la suite et par un rendu de l'époque particulièrement réussi. Un des thèmes évoqués est celui de la lâcheté mais aussi et surtout de l'oubli, cela nous renvoie à notre propre histoire , celle de la résistance pendant la guerre.
Que dire de plus , l'écriture est belle , il y a un vrai climat dans ce bouquin , le procédé narratif qui peut au départ désorienter apporte un vrai caractère à ce livre enfin la construction est magistrale .J'espère que cette critique fera découvrir un bouquin de grande qualité au final assez peu connu .
Un tout grand roman. 10 étoiles

les voix du Pamano.

Et voici un des livres qui m'aura fait vibrer. Les amours difficiles font les plus beaux souvenirs... il en est de même des livres. L'auteur a choisi de livrer un texte brut. On passe d'un acteur à l'autre, d'une époque à l'autre dans un texte continu. C'est très perturbant, déstabilisant et il faut quelques chapitres pour s'y retrouver. Mais une fois cette tâche accomplie... quel délice. Tout se met en place pour un extraordinaire rendez-vous avec le souvenir et avec la drôle de musique qu'est ce chant du torrent Pamano.

Torena est un curieux village perdu et boueux dans l'Espagne reculée au centre des Pyrénées. La guerre qui oppose une moitié du pays contre l'autre, les républicains et la phalange, se prépare à diviser des familles pour des décennies.
A Torena tout le monde a les yeux affûtés à force de haïr.
A Tolena il y a cette femme, si belle au parfum entêtant de tubéreuse.
Elle est là et se nomme Elisenda Vilabrù. Elle s'avance justement à cet instant précis vers un coin de l'église où baille un petit confessionnal, presque un jouet, dans un bois qu'ont desséché toutes les misères qu'il a écoutées pendant deux siècles. Elle se signe. Le prêtre avale sa salive et comme la nouvelle venue, sur le prie-Dieu ne bouge pas, il va s’asseoir dans le confessionnal et prend l'étole. Il s'enivre alors dans un bain de parfum d'une fleur odorante, agréable, peccamineuse. Madame Elisenda Vilabrù de la maison Gravat, la machin de Torena, se confesse alors d'une relation tempétueuse dont elle a décidé de se débarrasser à tout jamais.
"Vous vous repentez, madame ? Dit le prêtre
"Oui, mossèn répond elle !
Et le péché disparait comme par enchantement, même s'il met un demi siècle pour se dissoudre.
Mais surtout il faut ne pas regarder par le trou du temps, ni le passé, ni le présent, ni le futur qui s'annonce truffé de haine.
Torena est, et reste le centre névralgique de l'ennui à l'état pur où tout le monde garde rancune sur l'autre et où la rancoeur exulte.

Il y a dans ce livre un univers extraordinaire et un message caché. L'amour obstiné qui donne la volonté d'oublier tout le reste pour la mémoire.
Ces vies croisés, ces choix qui n'en sont pas toujours.
Toi et moi, dira un acteur, devons être nobles et honnêtes pour les kilomètres parcourus ensemble ! Tout un programme.

Alors merci à ceux qui vivent et meurent dans ce roman :
Docteur Jivago, le chat témoin et silencieux
Elisenda Villabrù qui vit son père et son frère mourir sous ses yeux, victimes des anarchistes qui devaient manger du riche.
Oriol Fontelles, le maître d'école et sa pauvre épouse Rosa.
Valenti Targa, le bras vengeur d'Elisenda.
Tina Bros qui tentera de démêler le vrai du faux cinquante ans plus tard.
Jacinto, l'avocat Gasull et tous les autres.
Et surtout merci à Jaume Cabré d'avoir constitué ce puzzle, ce labyrinthe avec ces narrations complexes, ce livre qu'on lit et qu'on vit intensément. J'ai passé une semaine à décortiquer cette oeuvre, le temps avait perdu son emprise, j'en vivais, j'en mangeais et j'en rêvais.

Un tout tout grand roman.

Monocle - tournai - 64 ans - 19 octobre 2017


Presque un chef d'oeuvre 8 étoiles

Prévenu par la critique précédente et d'autres avis, je n'ai pas été décontenancé par la curieuse manière par laquelle est conduit le récit. En fait, ce procédé d'écriture sert admirablement l'intention de l'auteur. Celui-ci veut révéler à quel point et comment un petit village pyrénéen espagnol est encore actuellement (années 2000) perturbé par la mémoire des évènements survenus 50 ou 60 ans plus tôt, au moment où le gouvernement phalangiste de Franco s'affrontait aux derniers maquisards issus des forces républicaines vaincues des années auparavant.
Dans ce microcosme, les affrontements entre les deux camps (phalangistes et républicains) sont admirablement restitués avec leurs ambiguïtés et leurs ambivalences, de même que leurs effets sur les haines, rancoeurs, jalousies, détestations qui rejettent les familles dans des oppositions farouches. Le procédé littéraire permet d'accuser les correspondances entre les évènements anciens et les comportements actuels. Tout ceci est très remarquable, accompagné d'une belle présentations de la galerie des personnages qui peuplent les périodes anciennes et récentes, dominée par le beau portrait d'Elisenda, la seule qui fasse le trait d'union entre les deux époques du récit.
Malheureusement, autour de la page 500, l'auteur - sans perdre pour autant le fil de son histoire - multiplie scènes, faits et descriptions qui n'apportent pas grand chose à la compréhension des évènements ni à la construction des personnages. Je me suis alors enlisé et ennuyé dans ces retours incessants et ces précisions sur la réalité de faits et de sentiments déjà préalablement suggérés. Dommage.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 18 mars 2014