L'ingénue libertine
de Colette

critiqué par Fanou03, le 27 juillet 2018
(* - 49 ans)


La note:  étoiles
Minne, mi-ange, mi-démon
Minne, une charmante jeune fille, côtoie régulièrement son cousin Antoine, lycéen boutonneux, amoureux en secret de la jeune fille mais dédaigné par elle. Il faut dire que sous son apparence d’enfant sage, Minne rêve surtout de l’étreinte des bras virils des mauvais garçons dont elle peut lire les exploits dans la presse, et en particulier d’un chef de bande appelé « Le Frisé ». Lassée de sa vie routinière, elle songe de plus en plus à s’échapper de la demeure où elle vit avec sa mère pour essayer de le retrouver dans les bas quartiers de la ville.

La prose de Colette est une sorte de gazouillis enchanteur, mélodieux ; l’oiseau qui en est à l’origine est Minne, qui apparaît tout d’abord comme une « petite fille modèle », laissant attendre tout d’abord une lecture gentillette et assagie. Minne s’avère en fait aussi virevoltante que capricieuse, aussi inconstante que cruelle. Celui qui en fait les frais est Antoine, son cousin. De chicaneries en disputes, d’attirances en rejets entre les deux êtres, le récit prend alors du relief et s’empare de la question du désir, violent, fantasmé, inassouvi, thématique qui est à nouveau au cœur du sujet de la seconde partie. On y voit en effet, quelques années plus tard, Minne, marié à Antoine, et le trompant sans scrupule et sans vergogne, recherchant le plaisir physique auprès d’hommes aux beaux atours dont aucun ne la comble pourtant.

L’ingénue libertine fera partie pour moi de ces romans très éloignés de l’idée que je m’en faisais d’eux, c’est-à-dire une image plutôt bucolique. Bien sûr dans l’écriture de Colette cette dimension-là est très présente : la poésie de la nature, les petites choses du quotidien, les sentiments, évoquées avec une grande délicatesse. Mais cette tendresse, cette frivolité parfois, mélangée à une ambiance de vaudeville qui baigne la deuxième partie du livre, côtoie l’Amour triste, les sentiments mélancoliques, l’ennui de la routine. Ce décalage, très homogène pourtant, offre beaucoup de personnalité à l’ensemble. L’ingénue libertine m’a ainsi, à vrai dire, parfois décontenancé mais surtout m’a beaucoup plu, servi par un style enlevé et par cet étonnant contraste. Le personnage de Minne, mi-ange, mi-démon, à la fois libérée et asservie par le désir des hommes et le sien propre, domine les deux récits qui constituent le livre et est une figure pour laquelle il est difficile de rester indifférent.