Cinq mémoires sur l'instruction publique
de Jean-Antoine-Nicolas de Caritat Condorcet

critiqué par Elya, le 28 avril 2013
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Pour qu'une société soit moins inégalitaire, beaucoup de choses devraient passer par l'instruction
Nicolas de Condorcet appartenait à ces personnalités dont le nom m’évoquait vaguement quelque chose, sans que je puisse y accoler un titre, une profession, un siècle ou même une nationalité. Jusqu’à ce que je tombe sur Cinq mémoires sur l’instruction publique. Cet essai, libre de droit, est le seul de Condorcet que l’on trouve facilement en livre électronique ; je présume qu’il s’agit donc du livre le plus connu de cet écrivain et philosophe du XVIIIème siècle. Dans l’avant-propos de la version électronique était présentée une synthétique biographie de Condorcet, dont je n’ai pas retenu grand-chose, si ce n’est qu’il est décédé en prison. Qu’importe finalement que l’on sache situer Condorcet dans un quelconque courant historique ou philosophique ; ce livre porte sur un sujet suffisamment universel et moderne pour que l’on puisse s’en délecter sans connaître outre mesure son auteur.

La thèse majeure de cet ouvrage est qu’un des devoirs primordiaux de la société consiste à instruire ses individus, quel que soient leur âge, leur sexe et leur milieu. Bien évidemment, Condorcet s’attellera à définir les distinctions que l’on doit opérer dans l’instruction en fonction de ces caractéristiques socio- démographiques. Mais là n’est pas l’idée majeure.
Il s’agit plutôt d’exposer les avantages d’une société dont les agents sont instruits de manière systématique et réfléchie. Condorcet en cite certains, parmi lesquels une inégalité de fortune entre les hommes moins importante, et un essor plus rapide du progrès, auquel tout un chacun pourrait participer. Instruire les hommes, c’est aussi leur permettre d’avoir un esprit critique mieux aiguisé, c’est leur permettre de coopérer plutôt que de subir ou d’exécuter. C’est un moyen de limiter la domination injuste des autorités, peu importe leur forme et leur ampleur. Et pour ceux qui cultivent l’amour des livres, c’est un moyen d’apprendre, de connaître, indépendamment de toute finalité. « La lecture n’apprendrait rien à un homme armé d’une défiance aveugle ; celui, au contraire, qui, résistant à cette impression, n’admet que ce qui est prouvé, et de demeure dans le doute sur tout le reste, ne trouvera dans les livres que des vérités. » Dans tous les cas, l’instruction selon Condorcet doit se réaliser à des fins utilitaires, assez clairement identifiées.

Comment procéder au XVIIIème siècle pour former tout ce beau monde ?
Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, certains moyens imaginés par Condorcet sont encore d’actualité. Il s’applique à définir et justifier aussi bien les contenus d’enseignement (par exemple, la place limitée que l’on doit attribuer aux langues anciennes) que les emplois du temps des élèves et enseignants. J’ai retenu surtout l’évocation des moyens indirects permettant d’influer sur l’instruction ; il cite les spectacles, les fêtes et le théâtre. Il nous dit ainsi que « Ceux qui ont pu observer depuis un demi-siècle les progrès de l’opinion, ont vu quelle a été sur elle l’influence des tragédies de Voltaire ; combien cette foule de maximes philosophiques, répandues dans ses pièces, ou exprimées par des tableaux pathétiques et terribles, ont contribué à dégager l’esprit de la jeunesse des fers d’une éducation servile, à faire penser ceux que la mode dévouait à la frivolité ; combien elles ont donné d’idées philosophiques aux hommes les plus éloignés d’être philosophes. »

Cet essai pourra alimenter aujourd’hui encore l’argumentation de ceux qui militent pour une plus grande propagation de la connaissance, mais surtout des moyens permettant d’acquérir ces savoirs. Il se parcourt très facilement. Le style de Condorcet n’est pas du tout démodé ou difficile, comme on pourrait s’y attendre d’un auteur du XVIIIème.

On se doute que depuis cette époque, l’instruction en France s’est développée et est devenue moins inégalitaire. Mais si Condorcet analysait notre société du XXIème siècle, je ne suis pas sure qu’il y trouverait beaucoup d’éléments de ravissement, quand on pense notamment au poids qu’ont encore aujourd’hui certaines autorités. On imagine aussi qu’il revendiquerait que nous fassions tout pour garder nos services publics, et d’autant plus concernant l’éducation, plutôt que de laisser le secteur privé s’en emparer.