Un fleuve de fumée
de Amitav Ghosh

critiqué par Tanneguy, le 1 mai 2013
(Paris - 85 ans)


La note:  étoiles
La guerre de l'opium, Canton 1839
Rassurons tout de suite les fervents d'Amitav Ghosh : ils connaîtront la suite d' "Océan de pavots". La première partie du roman y est consacrée, très habilement du reste car il s'agit de souvenirs, de traditions qui se perpétuent à l'île Maurice avec des dimensions fantastiques et religieuses que l'auteur semble beaucoup apprécier...

Puis la saga se poursuit en Inde (Bombay) où un parsi se lance dans le commerce de l'opium pour imiter les Anglais, et écouler la production locale. Enfin nous nous retrouvons à Canton et, accessoirement, à Hongkong qui n'existe pas encore; les choses se gâtent car le pouvoir impérial chinois a décidé de mettre un coup d'arrêt définitif à ce commerce qui enrichit tant Anglais et Américains, mais aussi les producteurs indiens, les commerçants chinois en étant largement complices.

Les personnages du roman sont multiples et attachants, on a parfois du mal à s'y reconnaître, d'autant qu'ils n'hésitent pas à changer de noms ! Ghosh nous y a habitués.

Mais la dimension historique du roman est passionnante et nous apprenons beaucoup de choses sur cette guerre d l'opium qui a changé considérablement la situation de la Chine à cette époque même si la révolution de 1949, cent ans plus tard, a probablement effacé les mémoires...

Un livre remarquable auquel j'ai pris beaucoup de plaisir
Quand la fumée n'a pas de prix 7 étoiles

Second volet de la trilogie Ibis, 'Un fleuve de fumée' nous emmène d'abord à l'île Maurice où nous retrouvons Deeti, partie de l'Inde en 1838 à bord de l'Ibis et débarquée depuis quelques décennies sur cette île où elle vit maintenant entourée d'une nombreuse famille. Dans la foulée des souvenirs racontés aux enfants à l'occasion d'une expédition familiale au sanctuaire de l'aïeule, nous découvrons, par bribes, ce qu'il est advenu de quelques-uns des passagers de l'Ibis.

Par ce moyen, un trait en pointillé est donc établi entre le premier et le second tome de la trilogie. Mais fragmentaire et vague, cette évocation des suites de l'aventure entamée sur l'Ibis soulève plus de questions qu'elle n'offre de réponses. Qu'à cela ne tienne, abandonnant le lecteur à ses expectatives, c'est à la remorque d'une narration toujours très mobile qu'on reprend la mer pour partir en quête de nouvelles aventures.

De retour en 1838 donc, après un court passage sur l'une des îles Nicobar, c'est en compagnie de Neel et Ah Fatt, tous deux en fuite, que nous partons vers Singapour. Parallèlement et à quelques semaines d'écart, nous découvrons la vie à bord de l'Anahita, un navire transportant une importante cargaison d'opium et, voguant en direction de Canton (Guangzhou), nous faisons la connaissance de Bahram Modi, marchand indien appartenant à la communauté parsi. Toujours en 1838, cette fois depuis l'île Maurice, nous montons à bord du Redruth et, en compagnie de Paulette et de son botaniste de mentor Fitcher Penrose, nous partons à destination de Hong Kong, à la recherche d'une fleur mystérieuse. En route, nous croisons Robin Chinnery, un artiste peintre et ami d'enfance de Paulette qui, au cours de l'hiver 1838-39, nous livrera une pétillante chronique de sa vie à Canton.

Outre ce bouquet de personnages soigneusement introduits, cette partie du roman aborde entre autres thèmes celui de la migration et touche par ce biais à des sujets tels que la cuisine, la peinture, la botanique, la navigation et la vie en mer, les tenues vestimentaires, le climat, la faune et la flore, brossant ainsi un saisissant panorama social et culturel d'époque. Au surplus nous y visitons des lieux aussi variés que l'île Maurice, Malacca, Singapour, Macao, Hong Kong de même que, chose pour le moins étonnante, grâce à un petit crochet spatio-temporel, nous avons droit à un entretien privé avec Napoléon Bonaparte (!).

Bref, ce n'est qu'après cette longue mise en bouche (environ 200 pages) et forts de nouveaux personnages et autres images, que nous abordons finalement le cœur du roman.

Nous sommes à l'automne 1838 et las des coûts humains ainsi que du déficit commercial engendré par le marché de l'opium, l'empire chinois s'impatiente. Face à l'échec d'une approche plutôt complaisante, l'empereur menace maintenant de sévir, ce qui suscite bien des craintes parmi les membres de la guilde des marchands chinois (appelée Cohong) et soulève l'ire des marchands étrangers qui, réunis autour de la chambre de commerce de Canton, se réclament haut et fort du droit au 'free-trade'. Peu à peu, le ton et les tensions montent, l'étau se resserre et...

Grâce à un double fil narratif relatant ces événements sous plusieurs points de vue, nous découvrons divers aspects de la vie dans ce lieu que l'on appelait Fanqui Town, une enclave sise entre la ville de Canton et la Rivière des Perles (Zhu Jiang), zone interdite aux femmes, dédiée au négoce entre marchands étrangers et chinois. Reléguant l'histoire officielle en second plan et s'appuyant sur une solide documentation, le récit adopte donc une perspective multiple (quoique plutôt orientée vers le point de vue indien). On y découvre un portrait vivant et vraisemblable d'une époque ainsi que de cet univers singulier, habité par un groupe très sélect d'individus autour desquels gravitent une kyrielle de personnages, tous acteurs et/ou témoins (fictifs ou réels) d'un moment pivot dans l'histoire du commerce et des relations internationales.

Habilement soutenu par un vocabulaire riche et coloré ainsi que par une langue aux accents variés, c'est à festin multiculturel ainsi qu'à une vision panoramique d'une Asie en pleine effervescence que nous convie ce roman.

Servi par une plume sinueuse, friande de digressions et de descriptions, une plume qui ralentit délibérément le rythme pour alimenter le suspense à coup de détours et de reports, 'Un fleuve de fumée' évolue au gré d'une intrigue vagabonde. Ainsi, bien qu'il constitue un voyage riche et fascinant, partant d'un itinéraire indécis, ce roman semble ostensiblement naviguer vers une destination nébuleuse.


N.B. Lu en version originale de langue anglaise.

SpaceCadet - Ici ou Là - - ans - 17 juin 2016