Correspondance intime : 1898 - juillet 1970
de François Mauriac

critiqué par Jlc, le 22 avril 2013
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Post-scriptum
François Mauriac fut un des grands épistoliers de son temps, catégorie qui a disparu avec le développement du téléphone, l’invasion des smart phones et autres réseaux sociaux, la perte d’influence des intellectuels. Après « Les lettres d’une vie » et « Les nouvelles lettres d’une vie », voici « Correspondance intime » qui comme les deux précédents volumes a été préparée par Caroline Mauriac, la belle fille de l’écrivain.

Réunir et présenter l’ensemble de lettres de François Mauriac a été une entreprise considérable, facilitée par le fait qu’elle disposait des lettres les plus intéressantes adressées à son beau-père. Le nom des correspondants fut son fil d’Ariane. L’admiration qu’elle portait à Mauriac lui a donné l’énergie nécessaire pour mener à bien, jusqu’à sa propre mort le 20 mai 2011, ce travail titanesque.

Le résultat est tout à fait remarquable par l’immensité de son érudition, la qualité de son édition, la révélation d’une centaine de lettres inédites, la masse de plus d’un millier de documents traités et bien sûr l’attrait du sujet, François Mauriac ayant été un des intellectuels les plus influents du vingtième siècle.

Cette correspondance ne se lit pas en une seule fois, elle se parcourt pour s’arrêter ici ou là à la fantaisie du marque-page et permet bien des entrées.
Au fil du temps pour une lecture rationnelle et ordonnée qui commence en 1898 par une lettre à sa sœur aînée et s’achève 72 ans plus tard par une réponse à un jeune admirateur.
Au fil des dates qui marquent l’histoire en se précipitant pour savoir ce que Mauriac écrivait en août 14, en septembre 39, le 13 mai 1958, lors du gouvernement Mendès-France dont il fut un des soutiens les plus actifs, en 1952 lorsqu’il reçoit le Prix Nobel de Littérature ou en juin 40.
Au fil des destinataires qui en trois quarts de siècle vont de Maurice Barrès à Philippe Sollers, d’Anne Wiazemsky (sa petite fille aujourd’hui écrivain lorsqu’elle voulut épouser Jean-Luc Godard) à Ramon Fernandez, brillant critique d’abord situé à gauche devenu collaborateur pendant l’Occupation, de Marcel Proust à Paul Eluard à qui il dit en mai 1938 : « mon admiration pour le grand poète que vous êtes et ma sympathie pour l’homme qui ne se résigne pas aux crimes de la force ».
Au fil des formules de politesse, d’admiration, de gratitude ou d’affection qui vont de « Adieu. Soyez heureux » utilisé pour Jean-René Huguenin ou Philippe Sollers à « cordialement et sans rancune » écrit à Pierre Drieu la Rochelle en juillet 41 dans une lettre où il revient sur un article que Drieu a publié dans le journal collaborationniste « La gerbe ».
Le travail d’édition est précis, synthétique, éclairant sans être savant. Chaque lettre est remise dans son contexte, chaque fois que nécessaire. Une table des destinataires, une autre des noms cités sont d’excellents outils qui faciliteront les recherches de jeunes lecteurs pour qui le nom de François Mauriac ne dit plus tout à fait la place qui fut la sienne.

Et surtout il y a la prose de Mauriac toujours nette, fluide. A l’inverse d’André Gide qui écrivait lettres et Journal avec l’arrière-pensée de la publication future, François Mauriac écrit avec « une simplicité, une spontanéité empreintes d’un charme naturel ». En écrivant « Je ne sais pas moi-même qui je suis (mais) je n’ai jamais le sentiment d’avoir été un autre », il nous dit l’authenticité de cette correspondance qui est intime à la fois par son caractère personnel voire secret et son écriture franche et cordiale. Ce n’est pas ici mais dans « Le Bloc-notes », peut-être son chef d’œuvre, qu’on trouvera des textes plus politiques et publiés dans l’urgence médiatique comme autant de « lettres ouvertes ».

Cette correspondance révèle un personnage plus complexe qu’il n’y peut paraître, un catholique passionné dont la foi inébranlable fut le soutien, loin de l’image saint-sulpicienne que ses adversaires ont voulu donner de lui, « éternel adolescent dont on entend le cœur palpiter, hanté par les démons de la chair et qui portait en lui une blessure inguérissable ». Ainsi le perçoit Caroline Mauriac. Mais quelle blessure ? Peut-être « ces abîmes de tendresse dans lesquels ses élans sentimentaux et ses amours probablement inassouvis l’ont souvent plongé ».

François Mauriac est mort il y a plus de quarante ans. Cet ouvrage est un magnifique post-scriptum dont les textes, loin d’être lettres mortes, éclairent un écrivain impressionnant, un esprit libre, un épistolier élégant et un chrétien tourmenté.