La fille de Carnegie
de Stéphane Michaka

critiqué par Salocin, le 4 avril 2013
( - 43 ans)


La note:  étoiles
Enivrant
Je vous fais le pitch, il est simple : un meurtre vient d'être commis au metropolitan de New York en plein opéra. Il est 22h16. En apparence, l'affaire est simple, et elle le restera tout au long de ces 655 pages : le meurtre a été commis dans la loge de la fille du milliardaire Saul Carnegie, et le suspect principal a été arrêté à la sortie du métropolitain, un tee shirt maculé de sang, l'arme du crime porte quant à elle ses empreintes digitales.

L'audition entre le flic en charge de l'affaire, Bob Tourneur, et le suspect Mike Lagana, son ex coéquipier, peut commencer. Elle s’achèvera 655 pages plus tard à l'issue d'une longue nuit pleine de révélations, de trahisons, de rebondissements.

C'est un roman noir excitant, lu d'une traite, comme si décidément je ne pouvais me séparer de ce livre, qu'il fallait tout de suite que j'arrive le plus rapidement à son dénouement. Le livre produit un effet magnétique rarement atteint.

L'intérêt de l'histoire ne tient pas en l'enquête proprement dite sur le meurtre, celui-ci est rapidement élucidé, en l'espace même de quelques heures, le temps de l'audition. Et sa résolution ne présente à vrai dire pas de difficultés. Non, le meurtre est là pour fixer l'intrigue dont le ressort est avant tout psychologique car gravitent autour du principal suspect des personnages qui se connaissent, se rencontrent, s'affrontent ou s'esquivent; leur passé est trouble, leur méfiance réciproque, et leurs sentiments ambigus et ambivalents confèrent à l'histoire une dimension tragique exceptionnelle.

Le livre possède une dimension temporelle dynamique : si l'intrigue se déroule dans un temps très resserré (8 heures), les flash back permanents inscrivent l'histoire dans une perspective différente que le temps présent (celui de l'audition). Le lecteur est transporté dans le passé de Mike Lagana (l'enquête qu'il mène pour le compte de Sondra Carnegie) et le passé commun de Bob Tourneur, la procureure et Mike Lagana (un passé encore plus lointain).

Evidemment, il n'est pas possible de passer sous silence le talent de ce jeune écrivain français, Stéphane Michaka, dont j'ignorais tout avant de lire ce roman. Je retiens sa grande maîtrise et une incroyable maturité pour dérouler si magistralement l'intrigue. Et s'il fallait retenir un seul épisode du livre qui m'a littéralement enflammé, je retiendrai les quelques pages qui précèdent et annoncent l'affrontement entre les deux ex-coéquipiers. Le suspense monte progressivement et des scènes digressives s'intercalent et repoussent jusqu'à la dernière seconde le moment tant redouté par Bob Tourneur : car si ce dernier est d'abord fier et impatient de mener l'interrogatoire, occasion rêvée de prendre sa revanche sur son rival honni, il devient de plus en plus fébrile, renonçant presque à affronter cette perspective.

D'autres effet de style de l'auteur sont aussi intéressants et contribuent à la dynamique du roman : des changements de point de vue qui interviennent sans prévenir (en plein interrogatoire, d'un coup, la perspective change pendant quelques lignes, et le lecteur est placé dans la peau du suspect), des dialogues fictifs ou intérieurs (Bob Tourneur qui parle avec lui même, Mike Lagana qui converse avec un mort qu'il imagine vivant...), l'utilisation appropriée des flash backs...

Un excellent roman noir, une vraie surprise, un coup de coeur.