Le luxe de l'exil
de Louis Buss

critiqué par Rotko, le 9 février 2003
(Avrillé - 50 ans)


La note:  étoiles
A la poursuite d'un manuscrit secret.
Carte de visite : "Monsieur" Woolridge. Financièrement prospère, il vend des antiquités, dont certains articles sont "fabriqués" sur commande. Sa famille : une femme aimante et affectueuse. Il est vrai qu'elle a un peu grossi, et que les rituels ont remplacé la spontanéité. Deux enfants : un jeune homme raisonnable et docile, une jeune fille très convoitée par les hommes et qui y prend plaisir. Des failles secrètes pour cet homme qui a "réussi" ? un goût pour l'écrivain Byron, des pensées pour son père, et l'achat d'une boutique de livres anciens, où les employés eux-mêmes ont l'air de vieux rossignols :-)
Or la liquidation d'une vieille demeure procure à la boutique un lot de vieux livres. Dans la couverture de l'un d'eux, une correspondance clandestine, cryptée, entre deux amants, et le compte rendu par l'amant d'une rencontre avec Byron ; Celui-ci lui aurait précisément fait des confidences amoureuses et sulfureuses. L'amant parle aussi du manuscrit de Byron, un article mythique que tous les collectionneurs ont cru inexistant ou détruit.
Machination ? escroquerie ? affaire du siècle ? signe du destin ? La vie du narrateur Woolridge en sera bouleversée.
Ce récit, dont le début ressemble à un roman policier, va beaucoup plus loin qu'un jeu de piste. C'est l'itinéraire d'un homme qui s'interroge, et qui est capable de retrouver une nouvelle épaisseur. Louis Buss respecte son lecteur, il fait son initiation, le divertit, le captive et le séduit. On quitte à regret le narrateur. Je crains seulement que ma méconnaissance de Byron ne m'ait privé de joies supplémentaires. Mais à mon niveau, la lecture était très satisfaisante.
Le vide intérieur 7 étoiles

Claude Wooldridge, 52 ans a tout pour être heureux. Une famille unie avec sa femme Helen, son ancrage, tendre et aimante, attentive, immuable, son fils Christopher qui gère de façon autonome son magasin d’antiquités, et Fran sa fille adorée avec laquelle les heurts sont fréquents, entre provocation et demande d’attention.
Écrivain en mal de réussite, son meilleur ami Ross fait partie du cercle restreint de ses intimes.
Sa vie professionnelle est aussi une réussite, lui assurant une aisance financière plus que confortable.
Claude a racheté à Londres la librairie Dewson’s, spécialisée dans les livres anciens, où travaillent Vernon et Caroline. Le courant ne passe pas vraiment entre les deux hommes, l’un passionné de vieux livres et l’autre commercial dans l’âme.
Pourtant la découverte dans une caisse de livres de lettres évoquant Byron et son journal volé, provoque un émoi formidable chez Claude. Il en parle aussitôt à Vernon qui le met en garde sur la véracité de telles lettres, mais Claude est obstiné et va jusqu’à lui demander de l’aider à déchiffrer les passages codés. La recherche du journal de Byron va alors devenir obsessionnelle au point de lui faire tout quitter pour poursuivre sa quête en Italie.
"Peut-être avais-je envie de croire à toutes les absurdités qui pourraient combler ce vide brutal."
Pourquoi Claude, homme d’affaires avisé et "madré", en arrive-t-il à tout quitter, tout renier ? Comment le vide peut devenir à ce point terrorisant qu’il peut faire voler en éclat toutes ses valeurs pour le meilleur parfois mais pour le pire plus souvent ?
"Avoir de l’argent et rien à faire, c’est bon quand on est jeune. Pour moi c’est la mort. J’ai peur du vide."

L’auteur démontre habilement l’engrenage des faits qui vont faire du héros, personnage pas éminemment sympathique mais homme sensé, un solitaire paranoïaque dont on suit avec intérêt les réflexions, tour à tour délirantes comme effectives.
"Je me disais : nous sommes tous seuls. Nous habitons un monde d’étrangers. Chacun est un étranger. Simplement, il faut vivre longtemps avec les autres, tout près, pour véritablement en prendre conscience."

Une re-lecture de confinée pour ce roman qui m’avait été offert il y a 15 ans, et dont seuls quelques rares passages m’étaient restés en mémoire.
Probablement ne me sentais-je en rien concernée par les états d’âme d’un riche cinquantenaire ne trouvant plus de sens à sa vie… Peut-être une raison qui m’a permis d’éprouver beaucoup plus d’intérêt à cette seconde lecture.

Marvic - Normandie - 66 ans - 24 août 2020


un livre à part 10 étoiles

« Le luxe de l’exil », est un livre « rare », une sorte d’ovni… Il réussit la prouesse d’être facile et agréable à lire, captivant et même temps éminemment poétique.

Dans le souvenir que j’en ai, dans un premier niveau de lecture, l’histoire s’articule autour de deux sujets. Un premier pourrait tout à fait servir de matière pour un roman policier : les recherches autour d’un manuscrit du poète Byron, idole de notre héros. Vrai ou faux manuscrit? Le personnage va être amené à quitter son Angleterre pour errer, comme Byron le fit une bonne centaine d’années plus tôt, dans l’Italie du sud et dans ses mystères. Et c’est le second thème : la découverte de Naples, le choc face a cette civilisation si colorée… pour lui, un Anglais… alors notre Anglais va se fondre au paysage d’abord… mais il va si bien s’y fondre qu’il en deviendra peut-être plus atypique encore que ses hôtes… avec son étrange voiture et la ménagerie qu’il se crée dans la grande maison vide qu’il habite… Il deviendra une sorte de légende locale, fantomatique et « harcelé de solitude »… épreuve qu’il n’affrontera pas à proprement parler, préférant se déliter petit à petit… mais vers quoi ? la fin du livre nous le dévoilera dans des pages d’une poésie glaciale et foisonnante, brutale aussi…

Sur un plan plus subjectif, ce livre est pour moi une métaphore sur la puissance de la solitude dans la vie d’un homme… Quelle part y prend-elle ? Quelle est sa légitimité ? Jusqu’où peut-elle nous happer ? Et cette solitude, renforcée par l’exil - cette solitude que l’auteur voit comme un luxe - n’est-elle pas un privilège qui peut nous être offert pour voir les choses de façon plus détachée et plus globale ? Grâce à elle, les choses, les événements, tout nous apparaît avec plus d’acuité. Et l’on en vient à vivre avec un certain détachement. Mais à quel point tout ceci n’est-il pas un cadeau empoisonné? car qui peut supporter la lucidité ? Le héros, lui, trouvera « sa réponse » à la fin du livre.

C’est une œuvre qui laisse un goût amer… un goût d’Italie aussi… entre tristesse et beauté… Ce livre n’est ni plus ni moins qu’un petit bijou littéraire, tellement loin de la littérature nombriliste à la française !

Fredm - - 51 ans - 15 avril 2006


Plus psychologique que littéraire… 6 étoiles

La découverte, dans la jointure d'un livre, de lettres mystérieuses échangées par deux amants, lettres de surcroît codées, seront le point de départ d'une auto analyse par Claude Wooldrige. Ce qui au départ se révèle une quête passionnante à la recherche des mémoires de Byron (du moins c'est ce que laisse croire la correspondance secrète découverte dans une bible!) se transforme rapidement en une réflexion sur soi-même par le narrateur, sur son mariage, sa vie en général. Il se rend compte que l'habitude a fait place à l'amour au sein de son couple, que ses enfants se sont éloignés de lui et que finalement sa relation avec eux est superficielle, vide de sentiments et faite de conflits. Même son métier ne le satisfait plus. L'exaltante recherche de Byron lui fait prendre conscience qu'il est en fin de course, qu'il a accompli ce qu'il devait et que ses affaires tournent bien sans lui. Sa vie se vide littéralement de sens...
Il se rend compte qu'une phrase le résume: "Le vide brutal de la vie, qu'aucune relation humaine ne peut combler".

Je n'ai pas trouvé dans ce livre ce que j'y cherchais. La quatrième de couverture m'a induit en erreur. Là où j'espérais lire une passionnante enquête littéraire, je me heurte à une auto-analyse du narrateur. Pas trop mal ficelée, certes, mais qui n'était pas ce que j'attendais, d'où un sentiment de déception. De plus, cette quatrième de couverture en dit trop : elle nous dévoile presque la fin du livre et selon moi, elle est mensongère car elle reflète peu l'ambiance du livre. La quête des mémoires de Byron passe au second plan derrière les questionnements du narrateur ... Dommage.

Féline - Binche - 46 ans - 1 mars 2005