La Cité perverse: Libéralisme et pornographie
de Dany-Robert Dufour

critiqué par Paulina, le 23 mars 2013
( - 40 ans)


La note:  étoiles
Critique incisive et érudite du basculement de notre société
Le propos de ce livre est très ambitieux, puisqu'il retrace l'évolution de la morale et de ses grands principes, depuis à peu près Saint-Thomas d'Aquin jusqu'au moyen âge - et même en remontant aux philosophes de l'Antiquité.

Dany-Robert Dufour se montre à la fois philosophe, sociologue et psychiatre dans cet essai très brillant, qui remonte aux sources de la morale religieuse d'abord, laïque ensuite, notamment avec Rousseau. Son chemin fortement documenté et argumenté nous mène jusqu'à la terrible dégradation à laquelle la société des hommes est parvenue aujourd'hui.

Certes, il fallait bien se débarrasser de la superstition et des religions, le siècle des lumières y a contribué, ainsi que les Révolutions (françaises et Russes notamment). Mais justement, c'est dans la période de la révolution française que l'auteur puise son argument le plus frappant : juste après l'émancipation des peuples, une dérive a commencé à ce moment : la lente mais irrésistible imprégnation de nos modèles sociaux par la "pensée" de Sade.

En effet, le parallèle qu'il construit entre la société capitaliste libérale et la vision sadienne du monde est extrêmement pertinent et éclairant. La "loi" du libre-marché, c'est-à-dire en dernière analyse, la loi du plus fort et du plus habile, la priorité donnée au profit et aux rapports de force, qui conduisent un petit groupe à dominer le monde moderne sont un modèle très précisément issue de la "contre-morale" sadienne, laquelle ne considère pas les intérêts de la collectivité comme pertinents, seuls comptant le "jouir" de l'individu, par la rus, la force, ou les deux ensemble.

Cette injonction "jouis", mise en regard de cette autre "enrichis-toi", caractérise très bien notre société capitaliste. La misère sociale, économique, les communautés dresssées les unes contre les autres sous couvert de "compétition", d'émulation, restituent de manière terrible le spectacle donné par le monde des écrits de Sade : individualisme, contre-morale dominée par la puissance de l'argent ou de la force matérielle.

Bref, cet essai est très riche de réflexions et possède une portée qui, pour tout dire m'a dépassée par moments. Les références à la philosophie et à la psychiatrie sont parfois difficiles à suivre.
Mais quel plaisir de l'esprit que de mieux comprendre notre époque si déroutante, effrayante par bien des aspects.
Un premier pas pour tout changer quand les peuples se seront organisés pour reprendre le pouvoir à l'oligarchie de l'argent.