Merveilleuse plante
de William Goyen

critiqué par Jlc, le 14 mars 2013
( - 80 ans)


La note:  étoiles
Jardin d'hiver
Tony Sepulveda, bien que portant le nom d’un boulevard de Los Angeles, est un déraciné, malheureux et déprimé, qui vit mal dans la mégalopolis californienne à l’été inexorablement permanent. Un ami compatissant lui offre une plante d’hiver qui vit au rythme des saisons et va vite se révéler merveilleuse « dans un monde que vous ne pouvez qu’imaginer ». Le récit de William Goyen nous emmène dans son imaginaire, aussi magique que facétieux, aussi tendre que drôle, aussi soucieux de protéger la fraîcheur de sa luxuriance que de s’ouvrir aux autres. C’est avec beaucoup de gentillesse que ce petit monde va accueillir Tony.

Il y a d’abord Polly et Henry Cramoisi qui attendent un bébé, signe d’optimisme et opportunité pour faire la fête. Il est membre de l’Ordre des Braves Bêtes (OBB) qui protège Merveilleuse Plante d’intrus malintentionnés et organise de magnifiques parades où « le mille-pattes a le plus grand mal à avancer la bonne patte au moment opportun », où Gary la chenille risque de devenir bossue à force d’arrondir son dos. Le bataillon sait se mettre en ordre de fleur éblouissante ou rompre les rangs pour adopter la forme d’un berceau à la naissance du bébé Cramoisi. Il sait aussi donner l’alarme quand s’approche Coupe-coupe le Ver Blanc « qu’une force en lui poussait à défigurer tout ce qui était vivant ». Mais l’araignée ballerine, qui parle le français, aidée d’un repoussant ver de terre va capturer l’intrus avant qu’il ne soit jugé, car on est démocrate. On découvrira que ses intentions n’étaient pas ce que l’on pouvait croire et tout finira par un mariage. « Et puis un beau jour Tony découvrit une feuille morte. C’était le début du printemps » et tout ce petit monde prépare son déménagement à l’étage en dessous avant de revenir au prochain hiver. Le docteur Taupe, aveugle comme il se doit, essaye d’expliquer l’énergie de la nature et son immuable rythme. Tout s’achève par un ultime conseil : « Grâce à son imagination, n’importe qui peut voyager où bon lui semble. »

Si la Plante est merveilleuse, le récit l’est aussi. On a dit du monde de Goyen qu’il « est un monde d’enfant, fait pour les enfants et qui ne se révèle qu’à l’enfant ». C’est aussi une réflexion sur le monde des adultes. Ce petit livre, parfois si drôle, parfois si touchant est une leçon de vie sur le déracinement - « Je me sens perdu et j’ai le mal du pays » - la résignation - « Lui qui languissait tant, il avait appris à accepter les choses comme elles venaient, au jour le jour » - la douleur « qui ne l’avait jamais quitté de la vie » mais aussi la délicatesse qui lui donnait l’impression d’atténuer son mal-être. C’est aussi un livre plein d’humour – le procès-, de sagesse évidente mais utile à rappeler – « Il faut avoir conscience de ses limites et nous avons tous des capacités différentes » ou bien « Les mots peuvent blesser d’avantage que l’épée ». Un récit enfin sur l’inéluctable quand Coupe-coupe retrouve ses instincts répréhensibles, quand les plantes suivent les saisons et laissent Tony « impuissant et abandonné ». Une fable dont le pouvoir de l’imagination pourrait être la morale.

Jardin d’hiver, jardin extraordinaire.
« Merveilleuse Plante » fait écho à la chanson de Charles Trenet :

«… Pour ceux qui veulent savoir
« Où mon jardin se trouve
« Il est, vous le voyez,
« Au cœur de ma chanson.
« J’y vole parfois
« Quand un chagrin m’éprouve
« Il suffit pour ça un peu d’imagination ».

En écrivant « Merveilleuse Plante », Goyen avait-il dans l’oreille cette chanson ?
Mais ça c’est mon imagination!!