Les cahiers de Céline, tome 3 : Le cahier bleu
de Michel Tremblay

critiqué par Dirlandaise, le 27 février 2013
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
...Si tu ne m'aimes pas, je t'aime...
Ce livre constitue le dernier tome de la trilogie intitulée « Les carnets de Céline ». La fin de l’Exposition universelle de Montréal a signé l’arrêt de mort du Boudoir et la dispersion de son personnel. La plupart des travestis sont retournés sur la Main et Céline a repris son ancien emploi de serveuse au Sélect après de longues vacances bien méritées. L’ennui a finalement eu raison de son oisiveté et elle est retournée avec soulagement à sa première occupation, celle de servir des hamburger platters à la clientèle bigarrée et bruyante du Sélect by night.

Mais Céline n’est plus la même, elle a changé, est devenue plus réfléchie et jette un regard plus mature sur la vie et ses vicissitudes. Elle baigne dans une sorte de torpeur jusqu’à ce qu’un jeune homme beau comme un dieu s’intéresse à elle et devienne son amant. Mais Céline est rongée de doutes affreux. Pourquoi un homme si beau tomberait-il en amour avec une femme comme elle ? Il y a sûrement anguille sous roche et la jeune femme entreprend une enquête qui lui fera découvrir de nombreux secrets enfouis depuis longtemps dans la mémoire des travestis de la Main qui ont connu la mère de Gilbert et sa pathétique histoire.

Pour bien apprécier ce récit, il est préférable d’avoir lu les deux premiers tomes de cette trilogie. Après le flamboyant cahier rouge, Michel Tremblay s’assagit et raconte avec tendresse la suite des aventures de Céline la serveuse. Nous voilà donc revenus au Sélect où la clientèle nous réserve bien des surprises car certaines futures vedettes de la scène artistique et littéraire québécoises le fréquentent assidument. Céline a donc la chance de rencontrer des gens qu’elle a toujours admirés de loin sans jamais espérer faire leur rencontre. Mais le récit est surtout centré sur la personne de Gilbert le mal-aimé. Encore une fois, la tendresse éclate sous la plume douce et lumineuse de l’écrivain, une tendresse folle pour ses personnages et leur vie souvent insupportable et chaotique. C’est une écriture caractérisée par une belle simplicité et un langage émaillé d’expressions québécoises savoureuses. L’enquête de Céline est aussi passionnante que captivante et expose la vie de la Main dans toute sa dureté. Michel Tremblay connaît à fond ce monde des travestis et nous le dépeint avec brio et surtout une grande compassion envers les malheurs des uns et des autres. Magique comme toujours avec lui.

« Au moment même où Lucien, plié en deux, presque à quatre pattes, allait verrouiller la porte du restaurant, ils sont entrés en coup de vent, précédés de la Duchesse qui arborait son air des jours de grande catastrophe. Avec le sens du dramatique qu’on leur connaît, ils s’étaient habillés pour la circonstance, tout en noir, bien sûr, et ressemblaient à un chœur de pleureuses payées pour venir se lamenter sur le départ tragique d’un membre important de la famille royale. La Duchesse – un ouragan noir et rose qui aurait senti, trop fort, Tulipe noir de Chénard – est arrivée à côté de moi et s’est lancée sur la banquette comme si le sort du monde en dépendait. Elle suait à grosses gouttes, sa moumoute noir jais s’était déplacée sur sa tête et pendait sur son oreille : un béret de jeune première dans un film français. Suzy Prim. Ou Sophie Desmarets. « Touche pas à ça, Céline ! Touche pas à ça ! Y va devenir ton Tooth Pick à toi ! Y va te faire endurer ce que Tooth Pick m’a fait endurer ! »