Le livre d'Emma
de Marie-Célie Agnant

critiqué par Libris québécis, le 28 janvier 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
La Femme antillaise
Marie-Célie Agnant est une immigrante haïtienne qui habite à Montréal. La Dot de Sara nous l'avait révélée en 1995. Le Livre d'Emma vient confirmer son talent. Il en fallait pour détrousser la filière de l'Antillaise pour dévoiler les mystères qui l'ont façonnée. Avec son roman, elle donne une version féminine d'Amistad de Bernard Vincent.
L'auteur aborde son sujet en nous transportant dans un institut psychiatrique, où un médecin requiert les services de Flore, une interprète chargée de lui traduire les révélations d'Emma, une patiente antillaise accusée du meurtre de son enfant. Petit à petit, l'interprète se sentira interpellée par cette femme de sa race, dont elle voudra comprendre la cause de son infanticide.
Pour y parvenir, elle remontera la filière d'Emma jusqu'à cette grand'mère bantoue, qui fut arrachée à sa terre guinéenne sous les yeux de sa mère affolée pour être embarquée sur un négrier en partance pour les Antilles. Arrivée à destination, elle deviendra l'esclave marquée au fer rouge dans la figure par son propriétaire. Son travail ne se limitera pas aux champs, elle devra aussi participer à l'assouvissement des désirs des hommes, toutes couleurs confondues.
Les ancêtres d'Emma ont ingurgité à fortes doses la haine et le mépris, qui leur ont forgé une âme d'humiliées. Il ne restait plus à cette dernière qu'à couper le cordon de la honte en se débarrassant de la fille qu'elle a mise au monde afin qu'elle ne perpétue pas à son tour «la malédiction du sang». En fait, ce roman est le portrait des femmes de sa famille, dont elle a voulu être la dernière à subir l'atavisme qui explique sa folie meurtrière.
La construction mécanique du roman est parfois agaçante parce que chaque chapitre refère à une ancêtre sans que l'auteur établisse nécessairement les liens entre chacune. Dans la seconde moitié du roman, Agnant poursuit de façon beaucoup plus liante. Au niveau de l'écriture, on se croirait lire la copie d'une première de classe qui fait tendre des mains moites et ployer des arbres sous le vent.
Si l'originalité ne caractérise pas cette oeuvre au niveau de la forme, il n'en reste pas moins que c'est une réussite. Il se dégage une poésie qui englobe le roman dans une atmosphère tendue d'émotions. Cette lecture me fera porter un regard nouveau sur les femmes antillaises, fort nombreuses à Montréal et à Toronto. Bref, Marie-Célie Agnant s'est hissée à côté de Martine Le Coz, Dominique Bona et Maryse Condé, qui ont aussi écrit sur le sujet.
Le bruit des vagues... 10 étoiles

Les chemins de la mémoire sont souvent longs et tortueux. Cela encore plus lorsque l’on a une identité à construire à imposer au monde qui nous regarde et a écrit notre histoire différemment, en gommant l’essentiel : le ressenti.
On lit Le Livre d’Emma et l’on n’en sort pas indemne. Ce roman a été écrit avec une force et une finesse qui habillent avec habileté, la rage, le désespoir et la haine qui habitent et coulent dans les vaines du personnage principal.
La narration va crescendo. On a l’impression dès le début que la croisière a commencé en force. Mais le bateau ira encore plus vite au fil des mots, des pages. L’histoire d’Emma nous saisit. Celle d’une femme, au caractère forgé à la dure, dans une île (que l’on imagine Haïti) sévère envers les vies qui la peuplent.
Emma s’est accrochée à la vie dès sa naissance, comme une forcenée. Ce trait de caractère l’aide à traverser les tempêtes, dont les mauvais vents sont les mots peu tendres de sa tante à son endroit. Elle survit au silence et à l’éloignement affectif dont lui gratifie sa mère. Elle fait de brillantes études dont le point final doit être sa thèse. Cette dernière est rejetée et la folie s’empare d’Emma qui commet un infanticide sur sa fille… Cela comme pour mettre fin ………

La suite est à découvrir dans ce roman de Marie-Célie Agnant, écrivaine de Haïti vivant au Canada. Je découvre cet auteur et suis ravie de l’avoir lue. Son écriture, pleine de beauté, chaleur, ardeur et musique, m’a saisie dès le début ; au point de lire ce roman, plutôt dense dans le propos, d’un trait.

Imani - Toulouse - 43 ans - 24 février 2010