L'Oiseau de glaise
de Jean-Max Tixier

critiqué par Eric Eliès, le 14 février 2013
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Une poésie solaire en forme de quête initiatique vers les limites du langage
Jean-Max Tixier, poète varois décédé en 2009, est d’abord connu comme un romancier profondément attaché à la Provence. Néanmoins, l’essentiel de son œuvre est poétique et obtint un succès d’estime. « L’oiseau de glaise », joliment publié par Arcantères dans un format qui évoque un peu celui d’Actes Sud, a d’ailleurs reçu le prix Antonin Artaud.

Dans ce recueil, la poésie de jean-Max Tixier, par le rythme des vers très courts disposés comme dans un texte en prose, est une parole « brut », presque brutale, qui suscite l’image immédiate de la sensation perçue avant qu’elle ne soit reconstruite et mise à distance par la pensée. La phrase est haletante et impétueuse et ne laisse aucun répit au lecteur, charriant une poésie pleine de vie et de violence. C’est aussi une poésie solaire saturée de lumière, qui impose la sensation immédiate d’éclats aveuglants dans la disposition des mots noircis comme des cendres après le brasier.

Le recueil s’ouvre d’ailleurs sur l’évocation d’un incendie où le feu a des "crocs de fauve" :

P.15 : " Sur la ligne de feu. L’horizon galope de ses sabots de flamme. On entend des tambours qui veillent sous la pierre. Des ombres se convulsent. Dans le crépitement des phrases. S’il te fallait encore une preuve, ce serait cette peau. Détachée de ton corps. Ce sec lambeau d’écorce qui craque. Sous ton pas. "

Il n’y a, dans cette poésie, aucune tentative de description ni aucune tentation de séduire le lecteur par des phrases construites et enveloppantes. Le poète s’adresse directement au lecteur, employant « je », « nous » ou « tu », et lui impose sa volonté, le force à cheminer, comme dans une quête initiatique dont l’objet ne sera connu qu’au terme de l’errance, sur des chemins terribles faits de feu (omniprésent), de pierre et de silence. La vie évoquée (des oiseaux, des arbres) semble passée ou devenue minérale :
" Silence dans le poing. Tel un oiseau devenu pierre. "

Puis le poète parvient à un oratoire, comme un lieu empli d’ombres suscitant les images et les paroles tues, enfouies dans l’épaisseur des choses et du silence. Elles affluent et transforment le poète, qui accède à la présence du « vrai lieu » dans l’instant éternisé:

p.51 : " Elles venaient de toutes parts. Sans épaisseur. Sans résistance. Elles bornaient ton univers. Jouaient avec la profondeur des choses. Cernaient ta conscience. L’instant succédait à l’instant. Les rites de passage où la vie et la mort s’abolissent. De même. Où tu posais la main, tu ne rencontrais rien. Sinon la maille des mots tissée de l’invisible fil. Du monstre sans visage. "

Ce thème, et les symboles employés par Jean-max Tixier (la terre rédimée par le feu, la lampe qui veille, etc.), rappellent beaucoup l’art poétique d’Yves Bonnefoy, qui est d’ailleurs cité en exergue des parties resp. intitulées « Jours d’ardoise » et « Mémoire garder ».

p.59 : "Ce qui est posé là est une lampe. Noire. Tu tournes. Tu regardes. Au-delà de la forme brûle la forme en creux. Audace de tendre la main. De toucher. Pour saisir la présence est-il d’autre pouvoir que celui de la dire ? Le mot porte à l’inévitable. Il porte empreinte – et tu ne sais à quelle eau il doit sa dureté."

Alors le poète ressuscite, dans Elégie de Grignan dédiée à René Char, les souvenirs de l’enfance dans les ruines de l’ancienne maison : « De nouveau la lumière t’inonde ».

p.89 : " La membrane éclate. Sous les yeux. Quelle grouillante profondeur à l’émoi se révèle ! Tant d’images éparses. Et l’amniotique blancheur des feuilles. Tant de lueurs. Pour un ordre à venir quel dessein les assemble ? Tu tires du fond de chaque objet l’effervescente présence. Tu ranimes des voix. Gravées dans nulle cire. Il suffit d’être libre. Au seuil des dispersions. D’approcher de midi dans la ferveur. De voir. "

Mais ce que le poète embrasse, alors que se révèle la totalité du monde dans un mouvement sans fin de perte et de reprise, dans la conciliation de l’absence et de la présence, du clair et de l’obscur, c’est la mort, magnifique et terrible.

p.95 : " Elle danse dans les lointains. Par-delà les siècles. Ses pieds foulent l’ivresse. Il monte de son corps une ferveur de bruit […] L’horizon incline sa cuve emplie de moût. La joie tire sur sa longe trop courte. Par tous les bras du fleuve qui t’étreint coule le sang. La mort t’éclaire d’un sourire. "

Le poème s’achève sur une union charnelle que le langage devient impuissant à décrire. L’écriture se transforme en vers libres, se disloque dans la fureur et l’affolement de l'étreinte des corps embrasés.
Rarement la poésie n’a su se faire aussi véhémente et haletante, puisant ses mots dans les images de la mer :

« vulve où je verse / la votive rosée / de notre amour / ô vénérable et vénérée / de quelle oscillation d’algue dans les vases s’ouvre / la valve de nacre / où la perle est / ton cri »

« mots d’estuaire / mots de valve / marée de langue / de salive / fluée de feu / confondant verbe et chair / dans le ventre / d’Eros»