Imitation et apprentissages moteurs : des neurones miroirs à la pédagogie du geste sportif
de Michel Desmurget

critiqué par Elya, le 10 février 2013
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Comment améliorer son habileté gestuelle ?
Le titre de ce livre évoque plutôt un article scientifique qu’un ouvrage de vulgarisation. Pourtant, il est presque aussi accessible que Mad in U.S.A et TV Lobotomie du même auteur (parus chez Max Milo), quoique le sujet restreigne probablement le nombre de ses destinataires potentiels. Entraîneurs, rééducateurs, sportifs, étudiants en STAPS et pourquoi pas enseignants, trouveront de quoi réfléchir sur leurs méthodes pédagogiques, voire les chambouler.

L’auteur interroge une fois de plus la littérature scientifique des dernières décennies pour répondre à une question pertinente et pratique : est-ce que la démonstration d’un geste ou d’un ensemble de gestes permet à l’observateur d’acquérir et/ou d’améliorer une technique, une habileté motrice ? Bien que Michel Desmurget soit chercheur en neurosciences et détenteur d’un Brevet d’Etat de tennis, il ne se contente pas de justifier ses affirmations par son expertise de terrain et son autorité dans le domaine mais remet au contraire sans cesse en cause les manières de faire et de penser des professionnels comme du grand public.

« nous aimerions au sein de la présente partie revenir sur cette conviction pour démontrer qu’elle tient non d’une réalité avérée mais plutôt d’une prodigieuse confusion intellectuelle »

« Derrière toute pratique pédagogique se cachent un certain nombre d’a priori épistémologiques implicites dont nous avons rarement conscience. »


Il n’hésite pas d’ailleurs à user de métaphores jubilatoires, lorsqu’il parle par exemple de « comble que l’on dilue souvent dans la brume vaseuse des habitudes ancestrales », qui rendent le livre passionnant à double titre ; par sa scientificité et par sa qualité littéraire, brisant les convenances des milieux scientifiques à la prose soporifique.

M Desmurget s’enquiert d’abord du concept d’imitation. Lorsque l’on tire la langue à un bébé et qu’on le voit répéter la même action, on dit qu’il nous imite. On considère que l’imitation est naturelle, innée, chez l’homme comme chez les primates, qui eux aussi sont capables d’imiter certains de nos gestes. Si l’on veut être précis (et c’est tout l’enjeu de cet essai), il faudrait plutôt énoncer que certains primates, comme les humains, imitent non pas des gestes mais une action ; « imiter c’est reproduire une action en la voyant réalisée ». Et en aucun cas reproduire un ensemble de gestes précis. Lors de l’imitation, le but est premier, le moyen secondaire.

On devine alors quel va être le constat concernant l’enseignement d’une technique sportive. Desmurget illustre ses propos à l’aide du tennis car il connaît mieux cette discipline. Je prendrai ici l’exemple de l’athlétisme que je connais plus.
Les situations d’apprentissage devront plutôt porter sur la finalité (parcourir la distance du 100m haies le plus vite possible) que sur les moyens d’y arriver, qu’on admet de manière arbitraire ou en analysant la pratique des experts de la discipline (impulser à telle distance de la haie, rythmer ses foulées de telle manière…).

On pense aussi que la pratique avec démonstration, par exemple par le meilleur élève du groupe, permettra aux athlètes d’être plus efficients que s’ils pratiquaient librement la discipline. Les études ont pourtant montré que les résultats étaient les même en terme d’efficacité d’apprentissage pour beaucoup d’activité.

« Contrairement à une idée fort répandue, notre capacité à reproduire une forme motrice perçue sur autrui est tristement pauvre. Les approches pédagogiques démonstratives sont non seulement peu efficientes mais aussi potentiellement dommageables pour le devenir de l’apprentissage. »

Ces quelques citations donnent le ton de cet ouvrage bouleversant mais n’en résument qu’une partie infime.

L’auteur aborde notamment le sujet des « neurones miroirs » dont on entend parler un peu partout, ce qui nous forge une conception confuse de ce à quoi ils renvoient réellement, à savoir : l’observation d’une action en train de se réaliser entraîne l’activation de certaines aires motrices (les fameux neurones miroirs) si et seulement si nous connaissons déjà l’action observée.

Michel Desmurget ne fait pas que briser nos idées erronées mais laisse aussi entrevoir des alternatives d’enseignements supportées par des protocoles expérimentaux : varier les situations d’apprentissage, faire en sorte que le pratiquant visualise ses gestes a posteriori…
Il modère également ses propos au sujet de l’intérêt des approches démonstratives, qui peuvent être adaptées pour des sports comme la gymnastique où l’on juge aussi l’exécution gestuelle.

Quels que soient votre profession ou votre sport de prédilection, et votre niveau de connaissance et d’expertise, ce livre alimentera nécessairement vos réflexions et modifiera votre pratique.