Du sang dans les plumes
de Joel Williams

critiqué par Numanuma, le 8 février 2013
(Tours - 50 ans)


La note:  étoiles
A quoi bon un flingue quand on a de quoi écrire?
Les anglo-saxons ont une expression intéressante pour tout amateur de livre : « ne juge pas un livre par sa couverture », ce qui correspond peu ou prou à notre « l’habit ne fait pas le moine ». Cependant, j’ai pu constater de très nombreuse fois la puissante attraction que peut exercer sur moi une couverture qui retient l’attention, qui attire, qui prend dans ses filets.
Ici, c’est un poche édité chez 13e Note, dans la collection Pulse la bien nommée, qui m’a mis un direct dans l’œil. Je ne sais trop pourquoi, la couverture, ainsi que les autres de la même collection, m’a fait penser à un pulp, ces magazine de fiction américains à faible coût de production du fait du papier utilisé mais toujours pourvus d’une couverture attrayante et tranchant avec les couvertures des livres plus chers. Pourtant, avant même de lire le texte, on voit clairement une volonté de l’éditeur de proposer une collection poche de qualité.
Concernant ce livre, un recueil de nouvelles, ou plutôt d’histoires courtes, écrites par un parfait inconnu, un Indien en prison pour avoir buté son alcoolique de père avec option alcool mauvais et coups de planches, le lecteur est gâté : note de l’éditeur, avant-propos, portrait de l’auteur par lui-même, les nouvelles, une postface et une nouvelle inédite de James Crumley, plus des reproductions de documents et des photos. Tout ça pour 8€ !
Evidemment, 8€, si le texte ne tient pas la route, ça reste cher. Mais, rassurez-vous lecteurs Indiens et Visages Pâles, le Grand Manitou est descendu et a inspiré l’auteur, Joel Williams. Maintenant que j’ai épuisé les clichés sur les Peaux-Rouges que j’avais en stock, on peut entrer dans le vif du sujet.
Je ne sais pas s’il existe une branche de la littérature mondiale consacrée à la littérature des prisons mais ce bouquin y aurait sa place, au moins autant que Jailhouse Rock, chanson rock, certes, mais avec un texte plutôt provocateur.
Ce qui force le respect, c’est que ce type, incarcéré depuis 25 ans, avec des accès ultra limités, voire inexistants à la littérature, s’est démerdé pour se trouver des auteurs de référence, Bukowski, Hemingway, Chandler, ce genre, écrire seul dans un univers dangereux dans lequel la moindre apparence de faiblesse équivaut à une agonie lente et douloureuse, et à former une œuvre, du moins un corpus, vivant, terriblement vivant, violent et humain.
Les textes qui composent ce recueil ont pour héros l’alter ego de Williams, un certain Jack Wallace, avant et après l’incarcération. Sorte d’autobiographie d’un autre, loin de l’auto-fiction branlatoire qui inonde nos étals depuis trop longtemps, kill kill Christine Angot et consort, mais je m’égare, les histoires de Williams et de son héros sont pleines de dérision et d’humour. L’écriture est sèche, pas comme le cœur des hommes politiques, plutôt comme un coup de trique. Pas un mot de trop, pas de tergiversations inutiles ou d’analyses bavardes. Des coups, des mots, des sentiments, du désespoir et une sorte de rêve américain qui n’en finit pas de ne pas mourir en contrepoint.
Williams est un exclu du rêve américain et il n’arrive même pas à le tuer. Dans un des premiers textes, il grimpe sur les lettres de la célébrissime colline d'Hollywood à défaut d’accès aux lumières de la ville elle-même. Il veut pisser sur ces lettres, au sens propre, afin, au sens figuré, de renverser, de salir ce rêve américain, cette tromperie qui ne veut pas de lui. Il ne réussit qu’à se pisser dessus… On ne met pas à mal impunément le rêve américain.
Une seule chose à faire désormais : lire et relire Hunter S. Thompson, ce fou suicidé, cet écrivain génial et barré qui a passé son œuvre littéraire à retrouver la trace de ce rêve. Il aurait eu des choses à discuter avec cet Indien meurtri, blessé mais pas abattu.
Et 13e Note va devenir un de mes éditeurs préférés.

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