Amniotiques
de Gérard Blua

critiqué par Eric Eliès, le 30 janvier 2013
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Un recueil, au ton grave et empli de souffrance sourde, sur le deuil du père
Ce mince recueil de Gérard Blua, à la couverture sobre et sévère (fond noir, barré d’un portrait noir et blanc du poète qui semble songeur comme enfermé en lui-même), puise sa force et son intensité dans la souffrance d’une expérience vécue : celle de la perte du père. Le recueil s'ouvre d'ailleurs avec ces vers :

J’étais de tous les âges
Le flot violent des heures
Me ramenait sans cesse à la falaise
D’un visage
Qui ne me parlerait plus

Le ton n’est pas celui du souvenir ou de l’évocation du passé ; tout le recueil est habité par la souffrance de celui qui reste, qui se sent physiquement transformé par le deuil et qui se sait, au terme de cette épreuve, être devenu un « autre » où le défunt a porté son empreinte et persiste, au-delà de la mort. L’auteur se sent comme une pâte malléable que l’expérience de la mort du père transforme et façonne : le champ sémantique abonde d’allusions à des choses (organiques ou minérales) en équilibre instable, en devenir, en gestation ou en mutation et qui se meuvent, dans l’espace ou dans le temps, avec peine et difficultés… Le recueil lui-même semble avoir été longtemps porté et apparaît comme le fruit d'une longue et lente gestation (le texte liminaire et la dédicace finale sont datées de 1965) qui consacre, dans un aveu, que le père mort s’amalgame peu à peu à son fils vivant.

L’écriture est dense et solennelle, avec des vers libres très courts, parfois presque lapidaires, dans des poèmes invariablement de deux strophes. Peu d’adjectifs et peu de verbes conjugués. Au contraire, de nombreux verbes sont à l’infinitif, comme des sortes d'exhortations que le poète formulerait pour lui-même (ce qui génère une certaine répétition dans la forme et le fond des poèmes). Les 3 poèmes recopiés ci-dessous sont représentatifs de la tonalité du recueil :

N’être
Qu’une sensation fragile
Fermée à toute vision,
Imaginaire
Nourri de sa trajectoire
Embrassée de justesse
Un matin d’agonie

Jouir
Du vol aux Dieux
De cette tragique
Immortalité

********************

Plier le mystère
Dans la poche du Temps
Raboutir
Les éclats de deux vies
En une ombre profonde
Suaire qui désespère
Masque qui rêve

Toi au bout de ma route
Moi si douce falaise

*********************

Et avaler les cieux
Boire les horizons
Mâchonner l’infini
Enfant
Gourmand du monde

Et déglutir
La vie
Dans le bonheur informe
Du ruisseau de Charon


L’auteur, dans sa courte introduction aux poèmes, explique avec gravité et clarté sa démarche, qui est le dire, longtemps après, intime et personnelle, de vie et de mort. Le titre du recueil prend ainsi son sens car il annonce l’éveil à la vie de l’auteur, seul « au gibet d’une autre naissance » qui clôt le recueil sur ce dernier vers :

" J'existe "