Sombre dimanche
de Alice Zeniter

critiqué par Yotoga, le 6 mars 2013
( - - ans)


La note:  étoiles
Buda ou Pest
Dans „sombre dimanche“, Alice Zeniter retrace l’histoire de la famille Mandy qui habite une petite maison à Budapest.

Derrière cette histoire familiale avec ses secrets, ses questions, ses doutes, le lecteur traverse la Hongrie de la guerre, du communisme, et de l’après. Les faits ne sont pas racontés chronologiquement, les histoires se suivent sans plan ni système. Le petit-fils et son grand-père ont tous deux le prénom d’Imre. Une gymnastique intellectuelle est souvent nécessaire par rapport à la date des évènements pour comprendre de qui l’auteur parle dans certaines scènes.

La vie de ces trois hommes (les deux Imre et Pàl, le père du petit Imre) est imprégnée de l’environnement politique. Les trois personnages ne sont pas si différents, ils portent les traditions familiales mais vivant dans d’autres temps, ils se développent différemment et s’adaptent chacun à leur manière. Ces trois époques imposent une réalité autre que les rêves et les caractères s’endurcissent automatiquement. Amputé et alcoolique à ses heures, le grand-père ne représente pas le caractère principal mais occupe une place importante dans le récit, pour comprendre les courbures nécessaires sous-jacentes pendant le communisme. Il représente la haine pour les allemands nazis pendant la guerre, et en sa petite personne qui n'a pas fait d'étude, la mauvaise conscience des suivistes.

Les femmes cachent tous les secrets liés au sexe : le viol, l'avortement, les pulsions. Chaque personnage est décrit avec son caractère actuel et les strates de psychologies liées aux événements historiques nécessaires pour comprendre le mécanisme humain.
Imre se marie avec une allemande de l'ouest : gros clash des générations avec le grand-père.

Le thème de l’amitié, entre Imre (fils) et Zsolt, représente la différence entre les classes sociales, le niveau d’études et la Hongrie après la chute du mur. Le lecteur saute de la répression de 1956 avec les chars russes aux sex-shops installés dans les années 90. On découvre les premiers émois d’Imre et on le suit jusqu’à sa vie d’homme. Comment une personne peut se construite malgré les secrets familiaux ?
Est-ce que les murs d'une maison portent malheur ?

Le livre est sombre et drôle à la fois : le fond reste brumeux, vaseux, la forme sauve l’humeur avec une langue légère et des petits clins d’œil. Mais surtout, le livre est très poétique... Certains passages sont très languissant comme les langues slaves et détendent le récit.
Illusions perdues 7 étoiles

Les Mandy sont au cœur de ce roman. Mais c’est aussi une certaine histoire de la Hongrie qui est racontée à travers les membres de cette famille. En décrivant le destin de quatre générations dans une seule et même maison, Alice Zeniter veut nous faire prendre conscience de l’impact que la guerre et le communisme ont eu sur une partie pauvre de la population de ce pays. On suit la vie de ces gens qui se sont confortés dans leur quotidien minimaliste, enfermés dans leur misère et dans leurs secrets. Le grand père est toujours aigri et révolté, le père passif et résigné, la sœur détruite et apathique. Tout ce petit monde n’est que le reflet du désastre du pays. Même Imre le fils, qui semble beaucoup plus positif et plein d’espoir, ne parvient pas, malgré ses efforts, à renverser ce destin de désillusion qui lui est promis. Comme si le bonheur semblait ne pas vouloir passer la porte de cette maison, comme un symbole, un héritage familial.
L’auteur nous dévoile cette petite histoire dans la grande, avec une justesse parfois poétique. Elle égaye le récit avec des petites touches d’humour pour ne pas tomber dans le pathétique. Malgré un côté déprimant, j’ai apprécié me plonger dans cette destinée parce que l’écriture est agréable et que les protagonistes sont tous touchants à leur manière. Je trouve qu’Alice Zeniter a su trouver les mots justes pour me parler de fatalité. Ces existences pourtant anodines, ont réussi à toucher ma sensibilité. Mais je reste tout de même sur ma faim car pour être véritablement efficace, le sujet aurait peut-être nécessité un peu plus de développement, donc plus de pages.

Killing79 - Chamalieres - 44 ans - 24 avril 2015


Très sombre dimanche 5 étoiles

C'est aussi le premier livre que je lis ayant pour cadre la Hongrie.

-Alice Zeniter sait écrire avec brio.
Pour exemple ce court paragraphe : " En 1945, Il ne faisait pas bon être une femme. L'Armée rouge entrait dans Budapest, océan d'hommes épuisés, abîmés, affamés aussi.
Une poignée de SS résistait encore au milieu des ruines historiques. Là encore des hommes mal en point et qui n'avaient plus rien à perdre, Ils tiraient à la mitraillette depuis les murs éboulés. Ils s'abritaient derrière les vestiges de statues, une aile du Turul – l'oiseau mythique qui avait guidé les premiers cavalier magyars-, un cheval d'empereur autrichien dont il manquait les pattes, la tête d'un chérubin joufflu dont le corps avait été pulvérisé. La colline était noire et fumante.
Des fuyards emportaient des morceaux de l'ancienne gloire des Hasbourg. Mais quelques mètres plus loin les russes les cueillaient en pleine course, et le blason, la poignée d'or, la pampille de cristal leurs tombaient des mains".

- Elle peut aussi jeter des pensées troubles et chargées de puissance tout à la fois. Pour exemple : "Il y a des vies minuscules mais d'autres sont immenses, Elles ont embrassé toutes les dimension du monde".
Ou encore cette remarque du grand père frappé d'aphasie qui écrira ceci :"je suis content de ne plus pouvoir parler, ça fait du bien de savoir qu'on ne discutera jamais de certains sujets.".

Cependant, sans vouloir dénigrer le travail d'écriture de l'auteure, chez moi la sauce n'a pas pris et au bout d'un moment j'ai ressenti une certaine lourdeur.

A essayer, Le fröccs – mélange de vin blanc et d'eau gazeuse- qui peut vous saouler sans avoir la gueule de bois, voilà la preuve du génie hongrois.
Ces propos n'engagent que Zeniter. J'ai bien pensé me dévouer en essayant la recette mais finalement je ne suis pas un aventurier en ce domaine.

Monocle - tournai - 64 ans - 7 août 2014


la petite maison derrière les rails 7 étoiles

A Budapest, derrière la gare, au milieu des voies ferrées, se trouve la famille Mandy. Les mâles de la famille se transmettent leur prénom, Imre, qui n'a sauté qu'une génération, celle de Pal, le père de notre "héros". Les femmes de la famille, quant à elles, il y a peu à en dire : soit elles partent, soit elles meurent jeunes.
Sombre dimanche raconte l'histoire de la famille Mandy, en parallèle de l'histoire de la Hongrie, de ses périodes de guerre, d'occupations, de révolution… Imre donc, le narrateur, nous raconte sa vie dans cette maison, ses tentatives d'émancipation, d'évolution, les coups de gueule du grand-père les 1er mai, ses découvertes de l'histoire familiales et de ses non-dits, son amitié avec Zsolt, enfant bourgeois et exubérant, ses recherches et sa découverte des femmes, etc… L'auteur semble poser à ses personnages une question du genre : quelle vie est possible après le communisme ? Mais les réponses apportées sont plutôt pessimistes "Même leurs nouveau-nés paraissent vieux. Ils sont vêtus d'un pyjama trop grand, comme s'ils étaient tous atteints de cachexie. Ils se débattent dans les vêtements des autres, taille "bonne santé", avec leur maigreur inadéquate."
C'est la première fois, je crois, que je lis un livre qui se déroule en Hongrie. Sombre dimanche développe l'histoire de 3 générations d'hommes (et de femmes). Les hommes semblent passifs, vaincus par avance par le destin, l'histoire, le contexte : Le grand-père connut ainsi sa première grave déception patriotique. Il avait toujours pensé que seules les invasions successives avaient empêché la Hongrie de devenir le pays édénique dont il rêvait. Sans les Turcs, sans les Autrichiens, sans les Allemands, sans les Russes, le génie national s'épanouirait enfin, pensait-il. Les ratés du gouvernement Antall le plongèrent dans une amertume dangereuse. Quant aux femmes, elles semblent être incapables d'être heureuses dans cette maison derrière les rails.
L'écriture d'Alice Zeniter est fluide et poétique, j'ai particulièrement apprécié les titres des chapitres, véritables invitations délicieuses à découvrir une tranche de vie de la famille Mandy. Mais au final, j'ai trouvé que le livre manquait un peu de contenu et que la dimension historique, sous-exploitée, circonscrivait le récit à une "saga" familiale qui aurait pu se dérouler dans un autre pays.

Je croyais quand j'étais plus jeune qu'en vieillissant on arrivait à la sagesse mais c'est des conneries. On n'arrive à rien qu'à vieillir. On devient un animal qui pleure. J'ai l'impression que je pourrais pleurer toujours. Quand j'essaie de repenser à ma vie, je suis incapable de déterminer si j'étais heureux ou malheureux. Tout ce que je vois c'est que les années ont passé et que les années passées sont des années mortes. Ca me donne envie de pleurer, cette mort partout dès que je veux me souvenir de quelque chose.

Ellane92 - Boulogne-Billancourt - 48 ans - 28 janvier 2014