Les enfants de la chance
de Joseph Kessel

critiqué par Shelton, le 4 janvier 2013
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Un bon roman de Kessel...
Avouons que pour de très nombreux lecteurs nous ne sommes pas en présence du meilleur roman de Joseph Kessel. Soit, mais je crois que nous avons là un des romans qui donne une clef importante de la compréhension de ce romancier et c’est pour cela que je vous en conseille la lecture.

Joseph Kessel a été un homme de terrain, d’action, d’aventures, un journaliste et un écrivain… Certains de ses textes sont le fruit de ses expériences comme L’équipage écrit après avoir été dans la reconnaissance aérienne durant la première guerre mondiale. D’autres ont été conçus durant des reportages en tant que journaliste comme Le lion. Enfin, pour d’autres ouvrages, il mélange la réalité et la fiction en dressant des tableaux pétris d’humanité. Ce roman, Les enfants de la chance, appartient à cette dernière catégorie. C’est le récit du passage difficile de la post adolescence, de l’insouciance, de l’adulescence comme on dirait aujourd’hui, à l’âge adulte, à la prise de responsabilité. Pour celui qui était prêt à courir partout et combattre pour tout et contre tout, c’est le moment de se poser, d’écrire, d’être et de ne plus seulement d’agir… Et comme c’est un grand romancier, il en fait un bon roman, tout simplement !

Son écriture est limpide et imagée, il veut à la fois raconter, transmettre des émotions, instruire. Il se veut journaliste, reporter et écrivain, mais aussi citoyen engagé. Pas derrière une étiquette étriquée et frustrante. Plutôt sous la bannière d’un humanisme global, citoyen du monde qu’il considère comme juste assez grand pour lui permettre de se promener, tantôt à titre personnel, tantôt mandaté par son journal… et, du coup, dans ses textes, nous naviguons entre fiction et réalité ! Les enfants de la chance est un roman mais il est plein de détails, d’anecdotes, de témoignages d’une période qui ne doit rien à la fiction romanesque…

Nous commençons en Afrique du Nord, au lendemain de la Grande Guerre. Vivant est un jeune pilote fougueux qui ne réfléchit pas beaucoup et n’est bien que lorsqu’il fait des acrobaties aériennes. A l’occasion du Carnaval, deux pilotes espagnols viennent rejoindre la base française. Vivant est de garde et il décide d’aller impressionner la foule en faisant un passage à très basse altitude sur la place du marché… Il mérite une punition exemplaire…

C’est un officier espagnol, pilote lui aussi, membre d’une grande famille de la monarchie espagnole, Ramon, qui obtient la clémence pour Vivant. Une amitié vient de naître devant un journaliste, Jacques, et une femme libre qui sert aussi de maitresse à Vivant, Roberte. Ces quatre jeunes gens vont créer un groupe très spécifique, insoluble et immortel. Leur fidélité est totale, tout passera au second plan – amour, travail, argent, renommée – dès que l’un appellera au secours… Ce lien va les empêcher de vieillir, de grandir, de devenir adulte…

L’époque se prête bien à une telle vie. Au lendemain de la guerre, cette génération qui a souffert, qui a été privée d’une partie de sa jeunesse, a besoin d’insouciance, de fête, d’oubli total des choses sérieuses… C’est probablement l’état d’esprit dans lequel se trouvait Joseph Kessel à pareille époque. N’oublions pas que Joseph n’a que seize ans au début de la guerre. Cela ne le gêne pas. Il est infirmier brancardier durant quelques mois en 14, puis artilleur en 16 avant de rejoindre une escadrille de reconnaissance… Il termine même la guerre au bout de l’Asie avec quelques retards sur les autres…

Au lendemain de ce conflit excessivement meurtrier, il faut rattraper le temps perdu, se construire enfin une belle vie… C’est ce que font nos quatre lascars ! Enfin, ils font surtout la fête, empruntent de l’argent à tout le monde, boivent, chantent… et cherchent un endroit pour dormir…

Jacques, le journaliste, veut créer son propre journal et c’est exactement ce que va faire à la fin des années vingt Joseph Kessel avec quelques amis… Un élément de plus pour penser que ce roman nous en dit beaucoup plus sur Kessel que ce que les lecteurs y voient à la première lecture. Un pilote, un journaliste, une artiste, un exilé… Trois hommes et une femme… Nés en Afrique, en Espagne, en France… Quatre qui s’aiment, qui profitent de la vie mais ne cherchent pas à s’installer en couple, à conforter une position professionnelle ou à conquérir le pouvoir… Non, vraiment, c’est le roman de la vérité d’un Kessel, celui de l’Entre-deux-guerres…

Ces quatre amis sont quatre facettes de Joseph Kessel. Il a été chacun des quatre au moins un instant. Pilote, journaliste, étranger, engagé et sensible… Comme Roberte, il est à la fois humaniste et artiste, c’est sa part de féminin qui ressort de ce côté. Ne dit-on pas que chacun d’entre nous est à la fois femme et homme ? Joseph Kessel fut, à mon avis, les deux même si on n’en parle pas beaucoup. Lisez ses romans et vous découvrirez ses aspects masculins et féminins. Ce n’est pas juste une forme consensuelle d’écriture, je suis certain qu’il s’agit-là de la réalité complexe d’un homme et c’est ce que j’adore chez lui… Peut-être même que je suis fait ainsi, moi aussi… Comme nous tous, allez savoir !

Gardez ces réflexions en tête en lisant ce bon roman et revenez en parler ici, je vous attends car l’aimerais bien avoir votre point de vue aussi… Après tout, j’ai besoin d’être conforté dans mon avis…
Bon conseil de lecture 7 étoiles

J'ai trouvé ce livre chez un brocanteur pour quelques sous, joliment relié. N'en ayant jamais entendu parler, j'ai cherché sur internet et suis tombé sur votre commentaire qui m'a décidé à le lire. Selon l'aimable invitation, et en juste retour, je reviens donc en parler ici .

A son crédit, tout de suite, l'agrément de lecture,la « patte » de l'auteur, son style nerveux, moderne. Avec le parfum d'aventure aussi, comme il se doit, chez Kessel.
Sur l'aéroport de Casablanca, on est entre Saint-Exupéry et Buck Danny. Le premier pour les avions (d'époque), le second pour la bande de branquignols magnifiques qui sont les héros du roman. Ce petit monde de privilégiés de la société parisienne de l'entre-deux guerres mène grand train au prix d'un endettement aussi acrobatique que les exploits aériens des pilotes. Héros sans cause et sans guerre, ces têtes brûlées sont toujours prêtes à en découdre pour l'honneur des dames. Une dame d'ailleurs les accompagne, amazone libérée, mais qui se « range » avant le dénouement (la libération de la femme est pour la génération suivante : « pour Vivant je ne suis pas autre chose qu'un camarade qui porte une jupe, c'est à dire de race inférieure et qui compte beaucoup moins que son mécanicien. »). Néo romantisme d'hommes pressés, à l'ère mécanique. Toujours au bord de la chute, ils retombent sur leurs pieds grâce à des coups de théâtre opportunément disposés tout au long de ce roman-feuilleton futile et brillant, qu'on appellerait maintenant  page-turner .

Il y a, à mon goût des moments intéressants :
- L'élégance de Roberte qui assiste dans son bain à la saisie par les huissiers de tous les meubles de son bel appartement du quai de Passy.
- La manière dont Le Droz obtient son scoop pour Le Petit Français et rédige dans la fièvre, au mépris de ses conséquences, l'article à scandale qui le projettera dans la lumière. Tout notre journalisme d'investigation est croqué dans ces lignes !

J'ai pris plaisir à cette lecture. Mais je ne crois pas plus que vous, au total, que le livre ajoute à la gloire du grand Kessel, même s'il est révélateur de l'esprit d'une époque et des rêves néo-romantiques d'une génération en mal de sensations fortes que l'Histoire allait leur donner à foison !

Et encore merci pour votre bon conseil de lecture !

Cécédille - - 79 ans - 2 décembre 2014