Hopper : Catalogue de l'exposition
de Collectif, Tomas Llorens, Didier Ottinger

critiqué par Jlc, le 4 décembre 2012
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Peindre la lumière du soleil sur le mur d’une maison.
« Peut-être ne suis-je pas très humain. Mon désir consistait à peindre la lumière du soleil sur le mur d’une maison». Ainsi s’exprimait Edward Hopper, le solitaire. Pas très humain ? Et si c’était le contraire ? Lui qui a su magistralement exprimer les doutes, les inquiétudes, les aliénations et les contradictions de son temps peut aussi être regardé comme un peintre humaniste pour qui « Ce n'est pas le sujet mais la façon dont vous le ressentez qui compte ».

Une superbe exposition lui est actuellement consacrée à Paris. Pour en garder l’émotion, on peut se procurer ce très beau mais onéreux catalogue, splendide livre d’images accompagné de textes très explicites qui aident à comprendre cet artiste et cet homme. Si tout le monde connaît certaines de ses toiles par l’usage commercial qui en est fait comme la couverture des livres de poche de la romancière Alison Lurie ou le bandeau du livre de Joël Dickers « La vérité sur l’affaire Harry Québert », Hopper est un peintre plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. Ce figuratif était plus proche de l’abstraction qu’il n’a bien voulu le reconnaître ("Sun in an empty room »). Celui que l’on disait être le grand portraitiste des Etats Unis du vingtième siècle est aussi celui de l’envers du décor (« Excursion into philosophy).

Edward Hopper, présenté comme LE peintre typiquement américain fut en fait très influencé par les artistes européens qu’il a pu approcher ou voir les œuvres lors de différents séjours qu’il fit à Paris au début du vingtième siècle. Il a su très vite en garder les leçons et s’en abstraire pour « colorier notre vision de l’Amérique » et nous renvoyer les images qui allaient devenir celles de notre mythologie américaine. Hopper raconte plus le déclin d’une pastorale que le pays devenant la première puissance mondiale. Chez lui, pas de gratte-ciel mais des maisons individuelles, pas d’ouvriers mais des employé(e)s de bureau, pas de compétition mais une certaine apathie, pas de bruit mais une forme de méditation. Il disait avoir voulu représenter l’oppressant et clinquant American way of life d’une petite ville avec la triste désolation du paysage suburbain qui l’accompagne. C’est encore aussi l’Amérique puritaine et Hopper est puritain mais il sait dénoncer les dérives moralisatrices en prenant parti (« Girly Show »).

Un critique d’art a défini Hopper comme le peintre de l’attente. Oui mais quelle attente ? Celle qui est faite d’espérance, de réflexion ou bien celle qui n’est qu’incertitude puis malentendu et enfin enfermement dans l’attente elle même ? Pour les organisateurs de l’exposition, « Il peint l’homme dans ses aliénations et les désenchantements du quotidien, avec une vérité non dénuée de tendresse ». Il faut regarder ses tableaux avec un regard complice et aller au delà de la fausse évidence car chez lui on ne sait jamais ce qui se joue, d’où d’ailleurs l’importance des titres. Ainsi de « Office at night » : un bureau, un homme lit, une secrétaire très attirante qui range ou cherche des papiers, une feuille sur le sol, une lumière crue, la nuit, un rideau qui frissonne. Les personnages ne se regardent pas. Et Hopper commente : que c’est-il passé, que va-t-il arriver ? C’est au spectateur de rentrer dans la composition et de se raconter sa propre histoire qui peut être très éloignée de ce que l’artiste suggère.

Ce catalogue contient encore mille et une chose. Sa biographie artistique et personnelle avec le grand rôle que sa femme Jo a joué dans sa vie, au point d’être, après leur mariage, son unique modèle. Les jeux de lumière, sa relation avec le cinéma, son admiration pour Hemingway sont autant de petites touches qui précisent le portrait. Vous serez surpris de l’intervention de Tocqueville dans le débat identitaire sur l’art américain au début du vingtième siècle, par la rivalité et la radicalisation des écoles d’après guerre ; vous découvrirez l’importance, pour lui, de la pratique de la gravure bien qu’il n’en ait fait que 26 ou son travail frustrant d’illustrateur (raté disait-il) pour gagner sa vie ; vous saurez pourquoi le peintre a baptisé un de ses plus beaux tableaux « Soir bleu » ; vous observerez la présence de nombreux lecteurs et lectrices dans ses toiles ou encore le rôle des fenêtres et de l’architecture pour évoquer la tension psychologique, vous devinerez pourquoi Jo voyait dans les nombreux phares qu’il a peints autant d’autoportraits, vous comprendrez pourquoi il ne met pas Cézanne à la première place, et vous serez certainement ému par « Deux comédiens » son dernier tableau, hommage à Watteau, où Jo et lui saluent une dernière fois avant que la lumière du soleil dessinant les ombres ne vienne s’effacer sur le mur de la maison.


1 – On dit que l’exposition connaît un immense succès dont le corollaire est une longue file d’attente. Je vous propose comme viatique le tout petit livre de Thomas Vinau « Bric à brac hoppérien » qui risquerait presque de vous faire regretter que la queue ne soit pas plus longue.
2 – En plus de ce catalogue, la réunion des Musées nationaux en a édité un autre, pratiquement sans texte mais avec la reproduction de toutes les œuvres présentées à l’exposition, dans un plus petit format (20/15 au lieu de 29/25) et à prix plus abordable (18€ au lieu de 45€). ISBN :9782711860210