Assam
de Gérard de Cortanze

critiqué par Persée, le 2 janvier 2003
(La Louvière - 73 ans)


La note:  étoiles
Camelia sesanqua
"Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant / d'une femme que j'aime / et qui m'aime / et qui n'est jamais ni tout à fait une autre / ni tout à fait la même"… Baudelaire aurait pu préfacer ce roman dans lequel le héros cherche aux Indes l'âme-soeur qu'il vient de quitter en Italie. Mais c'est Rudyard Kipling que Gérard de Cortanze met en exergue d'Assam : "Procurez-vous d'abord les faits, puis déformez-les autant que vous voudrez".
Ouvrir Assam, c'est s'embarquer pour un voyage au long cours dans le Piémont occupé par les armées de la révolution française (où l'on voit comment France appliquait aux vaincus les principes "Liberté, Egalité, Fraternité") et partir ensuite sur les pentes de l'Himalaya pour y dénicher des plants de théier sauvage.
Avec un peu de chance, vous trouverez dans votre armoire une boîte d'Assam Darjeeling Himalaya. Mettre l'eau à frémir jusqu'à ce qu'elle forme des "yeux de poisson". Laissez infuser et dégustez à volonté au fil des 530 pages qui vous tiendront en haleine.
Cortanze ne se savait pas aristocrate lorsqu'il découvrit ses origines piémontaises. Il n'eut de cesse alors de remonter le fil du temps en compagnie de ses prestigieux aïeux. Dans ce volume, il ressuscite le marquis Aventino Roero di Cortanze. Un sympathique jeune homme que la guerre arrachera à sa vie quelque peu dissolue. Aux plaisirs de la chair succède un cauchemar de boue et de sang. Tableaux hallucinants. Puis vient la défaite, l'occupation et son cortège d'hypocrisies et de lâchetés.
Aventino embarque alors pour les Indes. "Pourquoi part-il ? Et pourquoi se tait-il ? Parce qu'il n'avait plus rien à dire aux hommes de cette fin de siècle" (Tiens donc, encore un !). L'Inde lui offrira ses marécages, ses jungles hostiles, ses fleuves putrides mais aussi sa sagesse et sa volupté. Sa quête de l'arbre à thé sera, on s'en doute, initiatique. Il devra mourir à lui-même pour renaître et découvrir que la vérité était " plus proche d'une utopie pulvérisée, en suspension, corpusculaire, que d'une utopie solide, compacte et fine". Plutôt que de chercher désormais un sens à sa vie, il acceptera qu'elle ait "plusieurs sens qui s'entrecroisent".
Quête austère et déchirante puisque "la nature est la première à nous abuser. C'est par l'illusion et le mensonge qu'elle nous rend la vie sinon plus aimable du moins plus supportable". Il faudra revenir dans l'Italie occupée, entrer en résistance. Et, nouvel Orphée, arracher des Enfers une Eurydice qui a perdu jusqu'au souvenir de ses charmes. Car Assam, c'est aussi l'avers et le revers d'une histoire d'amour.
Ce livre doit se goûter comme le thé d'Assam, à petites gorgées un peu amères pour que l'envoûtement vous gagne. Comme l'arbre à thé, il est foisonnant, buissonnant. Certaines de ces feuilles s'oxydent dès que touchées. D'autres méritent d'être pincées entre les ongles et mises à sécher. Pour que leur suc se libère dans nos eaux.
Car ce siècle qui ressemble à "une fable racontée par un imbécile, pleine de bruit et de fureur" ce pourrait être le nôtre. Et nous sommes tous des Aventino qui s'ignorent, cherchant le Graal dans les marécages de l'esprit. Quelle potion magique sortir encore de notre arbre à thé, "Camelia sesanqua" ? Quelle porcelaine résistera aux éléphants ? Quelles rayures laissera le tigre ?
Merci Persée ! 8 étoiles

de 1794 à 1820, l'interprétation romancée de la vie de Avention Roero Di Cortanze, ancêtre de l'auteur.
Le livre se décompose en 3 parties, la première et la troisième se déroulent principalement dans le Piémont annexé par Napoléon. Elles sont intéressantes notamment parce qu'elles rétablissent un peu la vérité d'une époque sanglante, celle de Napoléon qui représente encore trop souvent une idée de grandeur de la France malgré tout le sang qu'il a fait couler par sa soif de conquête.
Mais c'est la deuxième partie qui, à mon sens, fait la valeur du roman. Comme il est dit dans l'excellente critique de Persée, Aventino s'embarque pour les Indes. Introduisant quelques éléments mystérieux, mystiques à son récit, G. De Cortanze promène son ancêtre dans des contrées dangereuses et existantes, lui invente une relation ambiguë et formidablement érotique avec une fille de maharajah ...
bref, un très bon roman "historique" aux reflets mystiques.
Et un grand merci à Persée sans qui je ne me serais vraisemblablement pas lancé dans cette lecture

Tophiv - Reignier (Fr) - 49 ans - 5 février 2003