Un habit de lumière
de Anne Hébert

critiqué par Libris québécis, le 1 janvier 2003
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Le refus de son identité sexuelle
Dans ses oeuvres, Anne Hébert a toujours présenté l'aspect sombre des humains, celui qui engendre des conduites extrêmes. Un habit de lumière est fidèle à la manière de l'auteur qui fouille l'âme d'un adolescent espagnol dont les parents ont immigré à Paris.
Ce dernier refuse sa «mâlitude». On comprend qu'en vieillissant, il soit attiré par le monde des travestis qui causera finalement sa perte. Elle sera d'autant plus cruelle que sa mère deviendra sa rivale auprès du même homme. Derrière les oripeaux flamboyants, ces habits de lumière des danseurs travestis, se cachent des drames cruels qui découlent du refus de leur identité sexuelle.
Cinq narrateurs se relaient pour nous présenter cette histoire tragique et très linéaire de cette famille dont les aspirations n'ont jamais été comblées. Ce roman est le dernier d'Anne Hébert, écrit peu avant sa mort survenue en l'an 2000.
Trahison motivée par l'ambition 10 étoiles

Aussi étonnant que ça puisse paraître, un habit de lumière d’Anne Hébert fait référence aux effets du régime capitaliste sur la différence socioéconomique réservée aux classes sociales dominées/dominantes, qui crée des inégalités; habitués que nous sommes à l’écriture poétique et symbolique de cette romancière. Dans son dernier récit, les rapports économiques y sont présents pour chacun des principaux personnages. Il y a un espace narratif accordé à chacun d’eux, le nom du narrateur apparaît avant l’exposé des faits, et en facilite la lecture.

Rose-Alba, la mère, s’occupe de conciergerie, ce qui la place dans une classe sociale dominée. Les revenus qu’elle touche ne lui suffisant plus, elle fera des travaux de couture qu’elle cache sous le lit chaque fois qu’arrive son mari. Elle veut se payer le paraître d’une parvenue, puis fréquenter les hôtels de luxe. C’est au prix de sa vie conjugale qu’elle devient du coup célibataire, disant à Pedro, son époux, qu’elle a perdu son anneau en allant au marché, sans préciser que c’est elle-même qu’elle vend au marché. Pédro veut devenir propriétaire. Il pourrait se situer parmi les dominants, mais il se déclasse, étant un ouvrier en bâtiment, il assume les tâches dites masculines. Cette virilité est démontrée par le refus du féminin chez son fils et chez Jean-Ephrem. Miguel, leur fils, rencontre Jean Ephren et passe du côté féminin. Tout comme Rose-Alba qui s’est placé sous la possession de Pédro, Miguel se place sous la possession du danseur Jean-Ephrem. Ce nouveau venu se voit changé en fille et fier de l’être. Il vit dans un loft luxueux. Son univers magique devient le rêve de la mère et du fils.

Dans ce dernier roman, l’auteure met en évidence la dynamique maternelle et la problématique du fils, rencontré dans « Le Torrent », alors que la cruauté de la grande Claudine fait souffrir son fils François. Rose Alba nous est aussi antipathique, puisqu’elle vole, à son fils, l’objet de son désir et sa vie de jeune garçon. Qu’adviendra-t-il de Miguel après la double trahison? Et les autres personnages? Comment réaliseront-ils leur commun et grand désir de belles résidences dans ce monde caractérisé par le capitalisme? La grande romancière réussit à démontrer l’écart entre le fantasme et la réalité. Le rythme est bon et le déroulement bien mené. Très intéressant. À quoi s’attendre d’autre avec un tel talent littéraire!

Saumar - Montréal - 91 ans - 13 juillet 2010