Moi, René Tardi prisonnier de guerre au Stalag IIB
de Jacques Tardi (Scénario et dessin), Rachel Tardi (Couleurs)

critiqué par Shelton, le 10 novembre 2012
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Extraordinaire, tout simplement !!!!!!!!!!!!!
Avec Jacques Tardi, on a pris l’habitude de recevoir du lourd en pleine figure quand on ouvre ses bandes dessinées. On le savait attaché à son grand-père, ancien des tranchées et on expliquait par ce lien toutes ses histoires qui avaient plus ou moins la Grande Guerre pour cadre. C’est ainsi que l’on avait dévoré et que l’on avait été touché, pour ne pas dire plus, par les aventures d’Adèle Blanc-Sec, C’était la guerre des tranchée, Putain de guerre, Le Der des Ders… On savait aussi que certains épisodes de l’histoire française le passionnaient comme la Commune qui avait donné chez lui cette fresque étonnante, Le cri du peuple. Je n’oublierai pas non plus, je m’en voudrais trop, son travail d’illustration de Voyage au bout de la nuit et Casse-pipe, qui lui permettait encore de rendre hommage, à sa façon, aux combattants de 14-18. Mais, la seconde guerre mondiale ne semblait pas le préoccuper plus que cela… Il cachait bien son jeu !

Si son grand-père avait été dans les tranchées, son père avait combattu en 1940 dans un char – Non, on ne dit pas tank ! – et il était resté prisonnier dans un Stalag (camp) durant de trop longues années. Certes, c’était un combattant de la défaite. Son beau-père, ancien de 14-18 lui aussi, ne lançait-il pas à chaque tentative de prise de parole sur cette campagne : « Ah, voilà « le grand militaire » qui va nous raconter ses exploits ! ». Ces soldats, certes vaincus, mais qui avaient souffert, dont beaucoup sont morts, on l’oublie trop souvent, et qui avaient été prisonniers en Allemagne dans des conditions souvent dramatiques, méritaient un ouvrage de Jacques Tardi ! L’auteur a eu le génie de demander à son père de prendre le temps de mettre sur papier ses souvenirs… Génie car cela permettait au « vaincu » de se raconter, de se soulager. Génie car cela donnait certainement au père et au fils de se retrouver aussi, car on comprend bien que Jacques, au départ, reproche beaucoup à son père. Enfin, génie pour nous qui mesurons ce que ces combattants mal dirigés ont vécu dans l’oubli total de la Nation !

Dès le premier volume de ce récit – énorme par la taille et la qualité, plus de 180 pages de lecture dense – nous découvrons que Tardi a décidé de nous plonger dans un récit à la fois réaliste – on reconnaît les scènes, les matériels, la guerre – et fantasmé – avec un petit Jacques Tardi qui arpente le champ de bataille pour parler avec son père.

Tardi a gardé son graphisme « classique » et c’est sa fille Rachel qui a mis en couleur. Couleur, oui, mais en fait on est dans un noir et blanc enrichi de toutes les teintes de gris possibles et imaginaires. Oui, c’est en couleur mais en restant dans le noir et le désespoir de la guerre… C’est tout simplement bouleversant ! Pas surprenant que Rachel ait obtenu un prix de la mise en couleur au festival de Solliès-Ville fin août 2012. A noter que dans ce palmarès, elle est entourée de Trondheim, Loustal, Delisle, Cosey, elle est en belle compagnie et c’est totalement mérité ! Elle aussi, mais elle était à bonne école, rend un bien bel hommage à son grand-père… Qui dit que le lien intergénérationnel n’existe plus de nos jours ?

Pour ce qui est de l’histoire du père Tardi, ce René balloté par l’histoire, je ne peux que vous inviter à la découvrir. Ouvrez cet ouvrage, prenez votre balluchon et coincez-le dans le char, mettez-vous dans l’ombre de Jacques lui-même si vous préférez… mais allez-y sans retenue ! C’est certainement-là une des meilleures bandes dessinées de l’année ! Elle va entrer dans le top ten de la décennie, c’est sûr ! Finalement, la meilleure façon de lutter contre la guerre, c’est de la montrer dans son horreur et sa banalité !
Des prisonniers de guerre humiliés par les Nazis et Vichy, oubliés par la République 7 étoiles

N’ayant que vaguement entendu parler des stalags de la Seconde Guerre mondiale, je suis reconnaissant à Tardi d’avoir produit cet ouvrage racontant un volet de l’Histoire oublié, en France en tout cas, et pour cause. Ces prisonniers étaient ceux d’une France collaborant avec les Nazis (même s’ils s’étaient engagés dans l’armée avant Vichy, même s’ils étaient opposés à Pétain), qui considéraient ces derniers comme de la main d’œuvre gratuite pour travailler aux champs ou dans l’industrie pour le compte du Troisième Reich. Quand l’Allemagne fut vaincue, toute l’attention se porta sur l’horreur de la barbarie nazie et les actes héroïques des vainqueurs, éclipsant ces infortunés, ainsi victimes d’une triple humiliation et revenus des camps dans un grand état de délabrement.

On comprend facilement que Tardi ait voulu coller le plus possible à la réalité des faits, soucieux de ne pas trahir le témoignage du père. Et sur ce plan, l’auteur a fait un travail plus qu'honnête, indiquant même les rares fois où il a pris des libertés. Toutefois, ce qui peut être perçu par certains comme une qualité, pourra l’être par d’autres comme un défaut, le récit apparaissant en effet assez monolithique. Il faut dire qu’il ne se passait pas grand-chose dans ces « autres » camps de concentration. Le quotidien était morne dans une région au climat maussade (la Poméranie) et les prisonniers n’avaient la plupart du temps qu’une seule et même obsession : la faim. Chacun tuait le temps comme il le pouvait pour ne pas sombrer dans la folie, cherchant à échapper aux brimades et aux corvées exténuantes.

Le trait si caractéristique de Tardi est adapté à ce type de récit, de même que le noir et blanc (et gris !). La couleur aurait paru quelque peu déplacée ici, tant l’atmosphère générale semble glauque dans cet enfer barbelé. J’ai bien aimé la façon dont l’auteur se met en scène aux côtés de son père. Alors que ce dernier revit les événements tout en les racontant, le fiston en culottes courtes, simple observateur, réagit ou questionne le narrateur, s’impatiente parfois même... Cette judicieuse trouvaille permet justement de compenser l’aspect monolithique dont je parlais plus haut, rendant l’histoire plus vivante. Comme toujours chez Tardi, le texte occupe un espace important dans la case, mais les planches sont saisissantes par l’ampleur des détails et la crudité de certaines scènes, parfois assez dures.

Si cette BD est un précieux témoignage historique, elle est aussi un formidable hommage au père de l’auteur, ce père cachant ses souffrances et son amertume sous un masque de colère, et avec qui il eut longtemps des rapports compliqués. Si je devais comparer cette production avec « C’était la guerre des tranchées » du même auteur, j’aurais tout de même une nette préférence pour ce dernier, qui m’a beaucoup plus marqué. Cela ne m’empêche évidemment pas d’en recommander la lecture. Un deuxième tome est à paraître, ce qui permettra de savoir s’il y a redondance ou si l’ouvrage global est à placer au rang des chefs d’œuvre de Tardi.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 4 janvier 2014


Merci à Tardi de nous raconter l'histoire des hommes 10 étoiles

Il était temps qu’un auteur lève le voile, la chape de plomb qui s’était abattue sur le sort des prisonniers de guerre français pendant la seconde guerre mondiale.
Il fallut que ce soit TARDI dans « Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag IIB ».
Pendant 5 ans, ces hommes qui étaient des paysans, des ouvriers, des jeunes gens de tous les milieux vécurent la privation de liberté, l’humiliation, la faim, le froid, les poux, le travail forcé, l’ennui… 5 ans de vie gâchée… La faute à qui ? Aux Allemands ? A Hitler ? Ou à nos généraux magnifiques ? A nos politiques ? A la république indécise et divisée ? C’est manifestement une période où la France a cruellement manqué de forces et de courages face aux périls.

Que dirait-on aujourd’hui si deux millions de français étaient prisonniers dans des camps à l’étranger ?

Après la guerre, il y a eu peu de livres et de films sur le sujet (il y a certes bien eu la série humoristique « papa Schultz » mais celle-ci n’était pas vraiment significative sur les conditions d’emprisonnement). Pourquoi ? Pourquoi cet oubli ?
Merci donc à TARDI de nous raconter enfin l’histoire de ces hommes trop longtemps occultée, l’histoire de nos pères, nos grands-pères vaincus et oubliés, qui ont fermé leurs gueules à leurs retours, car ils ressentaient de la honte : Ils représentaient la défaite, même s’ils s’étaient battu. Pourtant c’est notre histoire. C’est l’histoire de France.

Chene - Tours - 54 ans - 3 février 2013


La vie quotidienne dans le Stalag II B : époustouflant album ! 10 étoiles

1,8 millions de Français ont été prisonniers de guerre en Allemagne. Ce fabuleux album est donc un moyen de parler d'eux et ce n'est que justice. Dans l'ombre des rescapés des camps de la mort, les P.G. (Prisonniers de Guerre) vivront avec un sentiment d'humiliation le fait d'être passé inaperçus à leur retour. Comme s'ils n'avaient pas eus les honneurs qu'ils méritaient. Oui ils ont fait la guerre, oui les camps où ils furent prisonniers (comme René Tardi) ne furent pas une colonie de vacances. Loin de là en effet, tel le Stalag II B qui était organisé selon un système concentrationnaire, destiné à casser psychologiquement et physiquement les hommes. Pour cela, beaucoup de moyens pour y parvenir, mais celui qui revient le plus souvent dans cet ouvrage est la privation de la nourriture : avoir tout le temps faim pendant 5 ans comme René Tardi, ça détruit un homme.
Pour preuve que c'était un lieu effroyable, en 1968, une fosse est découverte à proximité du camp, dans laquelle seront retrouvés plusieurs milliers de corps (France Inter, Downtown, 29/11/2012).

Comme toujours avec Jacques Tardi, un important travail de documentation a été réalisé. On sent que rien n'est laissé au hasard.
Initialement, l'auteur avait voulu faire un album unique, mais l'ensemble était trop dense (cet album fait déjà 180 planches, découpées en 3 dessins de même format par planche). Une suite évoquera le long retour (5 mois) durant lequel René Tardi a tenu un journal de bord (contrairement à ce premier volet où les écrits quant à cette période eurent lieu au début des années 1980).

C'est un ouvrage majeur de la bande dessinée. Le dialogue entre le père et le fils (13 ans environ) est émouvant. Il cherche à comprendre qui est son père, ce qu'il a vécu, pose des questions (il n'aura pas toujours les réponses d'ailleurs), apporte de la contradiction dans cette discussion, ce qui met fréquemment son père en colère.
Vraiment une merveille à lire et à relire. On attend impatiemment la deuxième partie. Quel travail, merci Tardi.

PPG - Strasbourg - 48 ans - 26 janvier 2013


une précision? 9 étoiles

Juste un petit mot pour dire que J. Tardi avait déjà abordé cette période (et les stalags) dans "120, rue de la gare" adapté du roman de Léo Mallet. Il dédicace d'ailleurs ce travail à son père.

Minoritaire - Schaerbeek - 64 ans - 15 novembre 2012