L'Encyclopédie des bébés, Tome 1 : Etudes de caractère
de Daniel Goossens

critiqué par Blue Boy, le 8 novembre 2012
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Lorsque l’enfant paraît, eh ben il fait pas toujours le malin !
Une œuvre extrêêêmement ambitieuse de la part du génial Goossens, consacrée à cette créature fort étrange qui prolifère sans vergogne autour de nous : le bébé. L’auteur s’est fixé comme objectif, qu’il remplit d’ailleurs admirablement : que le lecteur, après avoir lu ces trois tomes fabuleusement documentés… n’en sache pas plus qu’avant la première page !... Et ceci grâce aux « brochettes de spécialistes » consultés pour leur avis éclairé, aux billets de l’ineffable Jacques Boudinot, ainsi qu’aux témoignages de nombreux bébés, et comme Goossens ne pratique pas la discrimination, la parole est donné aussi bien aux nourrissons à peine sortis du ventre de leur mère qu’aux bébés grabataires d’un certain âge.


L’humour de Goossens est tout à fait unique, pince-sans-rire, lunaire, tellement décalé que certains n’y verront rien de drôle… Il est vrai qu’il faut rentrer dans son univers ou alors on risque de passer complètement à côté. Les situations sont bien souvent sans queue ni tête avec des digressions saugrenues et ceux qui s’attendent à des gags bien ficelés seront déçus. L’absurde y est poussé à l’extrême et si le trait paraît sérieux au premier abord, les tronches sont bien souvent impayables en y regardant de plus près. Même s’il me paraît difficile de noter séparément les trois tomes, il m’a toutefois semblé que le comique montait insensiblement en crescendo au fil des pages, et l’auteur joue autant sur le comique de répétition que sur l'inattendu, utilisant les clichés pour mieux les détourner.
Une BD hilarante pour qui aime le comique d'absurde et de situation 9 étoiles

Goossens est l'un des auteurs de BD que je préfère : il est l'un des seuls capables de faire rire simplement par un dessin en gros plan sur un visage, grâce à la qualité de son trait qui a quelque chose de charnel et au cadrage souvent cinématographique de ses dessins. Mais ce n'est pas du comique visuel : il y a aussi beaucoup de textes (soit dans les cases [comme les billets de Jacques Boudinot...], soit dans les phylactères), qui est écrit avec intelligence et subtilité, jusqu'à l'apparition d'un élément absurde qui fait exploser le sens !
En fait, le comique de Goossens est un comique de l'absurde qui est extrêmement maîtrisé : il ne s'agit pas d'un non-sens débridé qui partirait dans toutes les directions (ce n'est pas Edika) ni même de parodie. Dans cette BD, Goossens met en scène ses personnages dans des situations inspirées par la télévision (publicité, émissions de débat, documentaires : tous visant à répondre à de grandes questions fondamentales : le bébé et la publicité pourquoi ? , etc.) et introduit, à chaque fois, des éléments perturbateurs (visuel ou textuel) qui font dériver la situation vers le non-sens, parfois de manière subtile parfois de manière brutale. Ces éléments peuvent être des détails, dans le dessin ou dans le texte, qui ne sont pas toujours vus à la première lecture. De nombreux travers de notre société sont ainsi grossis et déformés, jusqu'à susciter le rire. On peut, par exemple, citer tous les débats de spécialistes du bébé [ex : "écoutez, si vous le voulez bien, nous allons revenir à notre sujet, qui est la mort de bébés. Monsieur Gringoire, vous avez écrit que la mort à l'écran d'un bébé se supportait mieux quand le bébé est saoul", etc.] , l'intervention de super-bébé pour protéger les bébés contre l'industrie publicitaire (la pub pour Crunch, petits gâteaux croustillants à base de lard de baleine et de restes de merguez) mais il est difficile de parler d'une BD sans aucun support graphique pour illustrer le talent particulier de l'auteur ; je me contenterai donc de recopier un billet de Jacques Boudinot (noeud papillon, grosses lunettes, pipe et visage joufflu...) pour vous donner une idée du type d'humour de Goossens (en aparté de deux planches confrontant le sage oriental et le sage occidental) :
"La quête ultime du bébé qui a choisi la bonne voie, c'est la sagesse, qui donne droit aux jouets du Père Noël. Dans certaines philosophies, la quête de la sagesse s'exprime par la lente ascension vers l'état de Bouddha.
Vers la fin de sa quête, le bébé peut décider de brutalement de ralentir ses gestes quotidiens et de rétrécir son univers; il est alors capable de jouer à la belote des heures entières en racontant sa vie au cafetier. C'est l'ultime renoncement à vouloir atteindre l'état de Bouddha, dont seul est capable le sage occidental".

Eric Eliès - - 49 ans - 10 novembre 2012