La domination masculine
de Pierre Bourdieu

critiqué par Veneziano, le 3 novembre 2012
(Paris - 46 ans)


La note:  étoiles
Sociologie des relations femmes-hommes
L'inconscient collectif marque les esprits au point de forger une reproduction innée des schémas relationnels et sociaux entre femmes et hommes. Aussi les institutions, chargées d'initier à la vie collective, telles que la famille, l'école, l'église, l'Etat-même contribuent à alimenter les mécanismes fondateurs de cette organisation sociale, quasi-indépassable. A titre de comparaison, l'auteur, sociologue éminent, revient régulièrement sur l'exemple de la société kabyle.
Comme il y a une noblesse au sein de l'Etat, la masculinité en constitue face à la féminité, ce qui légitime socialement un rapport corporel qui tient de la domination, parfois de la violence. Cette dualité est alimentée par des mythes, des oppositions duales actif-passif, dur-mou, chaud-froid, qui aboutissent à une forme de dénigrement, voire d'antisémitisme (dixit l'auteur). Il s'ensuit une répartition des rôles sociaux inégalitaire. C'est pourquoi il est tenté des démarches de déshistoricisation.
Voilà en très gros comment peut être résumé cet essai, assez court, mais dense et complexe, et au style exigeant, parfois lourd en jargon. Il fait prendre du recul, à condition d'avoir le temps de méditer cette réflexion. Il présente les idées reçues pour mieux les disséquer, en montrer les limites et les effets pervers.
A condition d'être lu avec lenteur et ténacité, ce livre est enrichissant, il apprend beaucoup, malgré une forme pas au mieux pédagogue : l'ensemble le devient par ténacité et réflexion.
Explication complexe mais fort intéressante 8 étoiles

Bourdieu a un style plutôt soutenu et il n'est pas évident de lire cet ouvrage. Je pense quand même en avoir compris l'essentiel, en tout cas à peu près.... il est difficile de tout avoir saisi à moins de le lire 10 fois. Mais cette explication du côté androcentrique du monde est très juste. Il oppose hommes et femmes, d'abord par la position lors de l'acte sexuel où l'homme se situe la plupart du temps sur la femme. Son sexe est extérieur alors que celui de la femme est intérieure. Il fait des distinctions entre le masculin et le féminin comme sec/humide, chaud/froid, extérieur/intérieur, etc.... Moi qui aurait pensé que l'explication principale de la domination de l'homme sur la femme dans le monde était essentiellement à sa force physique qui est supérieure, c'est en fait faux! Malgré tout, les femmes ne sont plus aussi "inférieures" qu'elles étaient par rapport à l'homme désormais, même si ce n'est pas équitable, loin de là! Les fonctions à plus grosse responsabilité sont toujours occupées par les hommes, les patrons sont plus souvent des hommes. La dernière partie parle du mouvement gay, Pierre Bourdieu se demande s'il ne faudrait pas qu'il y ait une union civile possible chez les homosexuels. Il était visionnaire sachant que c'est possible depuis cette année. Un livre qui est ardu à lire mais c'est bien, très bien.

Gregou - - 38 ans - 7 juin 2013


Bel exemple de lucicité intellectuelle ..dans le rétroviseur 8 étoiles

J'ai beaucoup - et intensément - lu Bourdieu à partir des années 1980. J'ai par la suite largement adopté ses manières de voir le monde et suivi ses démarches, sans pour autant lire toute sa production. C'est pourquoi je découvre tardivement "La domination masculine", dont les prémisses apparaissent dans de nombreux articles et ouvrages antérieurs, notamment "Le sens pratique" (chap.8) et "Ce que parler veut dire" (passim) et qu'il a complétées par des recherches originales et le recours à de nombreux auteurs (Butler, Favret-Saada, Foucault, Goffman, etc.) et à Virginia Woolf, à qui il voue une profonde admiration.
Pour Bourdieu, la domination masculine est le résultat d'un processus social, appelé par lui 'violence symbolique', qui a abouti à "une domination exercée au nom d'un principe symbolique connu et reconnu par le dominant comme par le dominé" (p.12). Partant d'une manière de concevoir la relation sexuelle (dominant/dominée, actif/passive, viril/féminine, etc.), la constitution de la domination sociale de l'homme sur la femme est la résultat d'un processus historique de définition de règles sociales. Celles-ci sont reproduites de génération en génération jusqu'à devenir une évidence tant pour les dominants que pour les dominées, qui se constituent comme telles, persuadées de répondre ainsi à un ordre qualifié de 'naturel'. C'est à dire incorporant depuis l'enfance certaines manières de considérer le monde (notion d'habitus). Ce processus n'est pas l'effet d'un mouvement conscient, mais de l'inculcation et de l'incorporation d'une certaine conception de la société. Bourdieu décrit abondamment et avec précision les conséquences d'un tel processus. Il ajoute que la famille, l'Ecole, l'Eglise et l'Etat se sont entendus à merveille pour rendre institutionnelle la domination masculine, comme relevant d'un principe nécessaire d'autorité. Ce qui explique que la conscience et la volonté individuelles sont impuissantes à contrer le phénomène, d'où l'inadéquation en ce domaine de la psychanalyse.
Au delà de cet imparfait résumé, il me semble que deux perspectives sont insuffisamment traitées dans l'ouvrage:
- Le processus historique de constitution et de légitimation de la domination masculine est trop sommairement décrit, comme allant de soi. On en trouve une analyse plus poussée dans Edgar Morin ("Le paradigme perdu": définition de l'arkhe-société). Mais cela me laisse encore sur ma faim.
- La démarche de Bourdieu, pourtant le livre est récent, ne me paraît pas avoir assez pris en compte les mouvements sociaux qui secouent les sociétés occidentales et la domination masculine, qui résiste parfois jusqu'à l'absurde et à l'idiotie. Ce ne sont pas les pages sur l'accès des filles à l'enseignement secondaire et supérieur, ni l'appendice sur les mouvements homosexuels qui comblent le manque. Qui nous dira pourquoi et comment la domination masculine est peu à peu devenue illégitime aux yeux, d'abord, de certaines femmes, puis de certains hommes?
J'ajoute, comme le dit si bien Veneziano, que le style de Bourdieu est exigeant pour le lecteur. Le parcours n'est pas sans relecture de certaines phrases et il faut s'accoutumer à cette manière, constante, que l'auteur a de s'exprimer. Le jeu en vaut la chandelle.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 29 décembre 2012