The Fall-Out: How a guilty liberal lost his innocence
de Andrew Anthony

critiqué par Oburoni, le 28 octobre 2012
(Waltham Cross - 41 ans)


La note:  étoiles
Deux tours s'effondrent, et quelques idéaux avec
Andrew Anthony est un journaliste anglais d'obédience gauchiste et dont le parcours personnel, par bien des aspects, reflète l'évolution des Travaillistes au cours des dernières décennies. Flirtant avec les milieux d'extrême-gauche dans sa jeunesse, militant engagé pour qui 'internationalisme' ne fut pas qu'un vain mot (il travailla un temps dans les plantations de café au Nicaragua, suite à la révolution sandiniste), il écrivit pour The Observer et maintenant travaille pour The Guardian.

Se décrivant lui-même comme un blanc de classe moyenne, la quarantaine sonnante et heureux père de famille (oserons-nous parler de 'bobo' ?) il nous livre pourtant ici ce qu'il appelle 'une crise existentielle' : une critique de ses idéaux de gauche ('liberal' en anglais).

Alors, attention, pas de narcissisme prétentieux. La crise en question n'est pas uniquement la sienne personnellement mais celle, aussi, au-delà, de l'Occident. L'une entraine l'autre, en fait, puisque deux évènements les déclenchent.

D'abord, la publication des caricatures de Mahomet dans un journal danois en 2005. Les réactions émanant de la plupart des milieux gauchistes ('la peur masquée en tolérance, et la censure déguisée en retenue'), ces mêmes milieux qu'il a si longtemps soutenus l'ayant en effet décidé à écrire ce livre.

Ensuite, et surtout, véritable point de départ à sa remise en question, les attentats du 11 septembre 2001 -ou plutôt : les réactions à ces attentats dans les milieux de gauche; réactions pour lui absolument édifiantes :

'ce que toutes les réactions avaient en commun n'était pas leur complexité mais leur simplicité. Pour tous il était question de dépossédés frappant les puissants, d'opprimés contre leurs oppresseurs, de rebelles contre les impérialistes. C'était Han Solo et Luke Skywalker contre Darth Vader. Il n'y avait aucune tentative sérieuse d'examiner quel genre de pouvoir ils voulaient assumer, ou sur qui ils voulaient l'exercer et, personne ne pensa même à interroger au nom de quelle autorité ces tueurs suicidaires furent désignés comme étant la voix des opprimés.'

De telles réactions, mêlant anti-impérialisme et anti-américanisme au point de victimiser les coupables, faire des djihadistes des combattants de la liberté au mépris de leurs victimes et, même, de leurs véritables desseins et idéologie sont pour lui symptomatiques. Elles peuvent être vu comme étant le signe typique 'd'une sorte d'atrophie des facultés morales, née d'une utilisation prolongée d'idées fixes qui empêchent celui qui en est atteint de reconnaitre un nouveau paradigme lorsqu'il se présente'. La gauche serait-elle, à ce sujet, coincée dans une vue du monde tel qu'elle le voyait lors de la Guerre froide ?

Il commence en effet par remarquer que, ceux-la même qui dénoncent aujourd'hui les Etats-Unis et cherchent à rationaliser le comportement des islamistes (en en faisant des victimes d'un impérialisme, donc) sont pour la plupart ceux qui sont aussi les plus fervents à ignorer les crimes commis au nom d'idées de gauche. Tel un Noam Chomsky défendant Pol Pot mais faisant de l'anti-impérialisme américain l'un de ses fonds de commerce, ceux qui défendaient les régimes socialo-communistes il y a quelques décennies à peine maintenant excusent l'abus des droits de l'homme en Chine au nom du relativisme culturel ou, encore, n'ont visiblement pas autant de temps ni d'énergie à condamner les dictatures socialistes (la Corée du Nord, par exemple) qu'ils n'en ont pour verser leur mépris des politiques étrangères américaine. Coïncidence ? Le monde a évolué, certes, mais, fort de son expérience personnelle Andrew Anthony voit là tout un mode de penser qui, du communisme à l'islamisme s'est juste transférer d'une époque à l'autre, subtilement mais tout aussi dangereusement :

'L'anti-Occidentalisme ne prend plus la forme rigide du pro-communisme mais, celle plus protéiforme du relativisme culturel. Il s'agit maintenant d'ignorer les abus faits aux femmes et aux homosexuels, légitimer les superstitions, moquer la laïcité, mépriser les valeurs des Lumières et définir le terrorisme religieux comme étant le simple produit de la brutalité occidentale. Cette forme de déni peut ne pas être aussi extrême ou ambitieuse que la négation des goulags, mais elle puise ses origines dans le même instinct -la préférence naïve pour tout groupe ou idée qui s'oppose à la démocratie libérale.'

À l'échelle nationale, anglais il dénonce alors ce dit relativisme qui, en Grande-Bretagne alimenta une société multiculturelle aux conséquences lourdes. Il aborde par exemple l'islamophobie, un concept qui sert à merveille les milieux islamistes tout en minant la liberté d'opinion et d'expression. Il critique aussi le triomphe de la culture de la victimisation, qui sert une déresponsabilisation généralisée toute aussi néfaste pour le tissu social.

Au-delà du Royaume-Uni, il illustre ses arguments en se concentrant sur certaines personnalités phares -moquant le clown Michael Moore, revenant sur le cas emblématique d'Ayaan Hirsi Ali ou, encore, se plaçant dans la lignée d'un Christopher Hitchens. Il revient aussi sur la guerre en Irak dans des passages dignes d'intérêt.

C'est que, au sujet de cette dernière, s'il reconnait que certains des arguments pour s'y opposer pouvaient être recevables (lui-même n'y fut pas insensible) il n'en demeure pas moins que, ce qui motiva la plupart des militants anti-guerre était un puissant sentiment anti-impérialiste américain quitte, en l’occurrence, à défendre un dictateur et fricoter avec des gens douteux. Georges Galloway, le leader au Royaume-Uni de la coalition anti-guerre (Stop the War Coalition) est un autre cas typique. Au-delà des querelles, le résultat n'en demeure pas moins que :

'l'administration Bush peut être accusée d'avoir trahi la démocratie irakienne. Les mêmes accusations ne peuvent pas être portées à l'encontre des meneurs du mouvement anti-guerre puisque, eux n'ont même pas soutenu les démocrates en premier lieu.'

Dans un livre qui se lit d'une traite, sans prétention, Andrew Anthony arrive donc à équilibrer son parcours idéologique personnel avec l'histoire récente de l'Occident face à ses ennemis et, mettant constamment en parallèle ces deux histoires, à questionner la pertinence et les dangers qu'incarnent certains courants de pensée actuels. Certaines de ces tendances ne sont certes pas uniquement l'apanage de la gauche mais, puisqu'il prend le parti de se focaliser sur sa famille politique, une telle remise en question vaut le détour.

Un livre intéressant.