Mailer donne ici une vision terriblement humaine d’un Jésus qui entend donner son « propre exposé des faits ». Tout en retraçant assez fidèlement les événements majeurs de sa vie, il imagine la vie intérieure, les accès de doutes et de découragement, les colères, les tentations d'un révolutionnaire dont le message va à l’encontre des préceptes religieux de l’époque. Il dénonce avec vigueur la rapacité et la piété hypocrite des pharisiens, et se range définitivement aux côté des pauvres et des pêcheurs. En le faisant descendre du piédestal où les évangélistes l'avaient porté, il ne présente pas moins Jésus comme un exemple, un homme de foi et d'amour, réellement désireux de sauver l'humanité ; mais à aucun moment, il n'a la certitude qu'il y parviendra, ce qui le rend encore plus proche de nous.
Dans le livre, le Christ est perpétuellement confronté à sa vision de Satan, à son omniprésence maléfique tellement bien déguisée qui lui rappelle à tout moment la fragilité de sa divinité. Marie y est dépeinte comme une femme égoïste aux principes moraux rigides, qui fera tout pour éloigner Jésus de son destin de sauveur. Le chapitre 42 est intéressant car il raconte la Cène. Jésus lave les pieds de ses disciples, il partage le pain et le vin, puis il désigne Judas qui va le trahir. Judas, lui aussi, est du côté des pauvres, mais encore plus radicalement, presque idéologiquement. Il trahira Jésus par déception, considérant que ce dernier s'est compromis en acceptant l'hospitalité d'un riche.
Cependant, on aurait apprécié que l'auteur sorte enfin des sentiers battus, révélations inédites et apocryphes à l'appui, décapant définitivement les poussiéreuses idées qui ont été ânonnées sur sa vie. Le roman ressemble un certain "évangélisme" mitonné à la sauce Barbara Cartland, comme par exemple dans le dialogue du Jésus avec le Diable, dont j'ai appris néanmoins les sept puissances démoniaques (avec en prime « l'excès de Sagesse », un comble où va-t-on ?). Le récit, avec un ton réellement biblique, ne sort à aucun moment des limites autorisées par un christianisme réfractaire à toute nouveauté. Cet ouvrage se lit sans grande fatigue et ne provoquera guère de tumulte dans les convictions profondément ancrées des illuminés "shootés" à l'hostie. On aurait aimé en savoir plus sur les relations de Jésus avec la politique, mais aussi avec Marie-Madeleine la pécheresse, ses parents, ses frères et soeurs, ses disciples, ses apôtres, sur la vraie suite de l'Histoire... qui s'arrêta brusquement un certain vendredi... A la fin, on reste donc un peu sur sa faim.
Fane - Nancy - 47 ans - 26 novembre 2003 |