La grange
de Madis Kõiv, Hando Runnel

critiqué par Sahkti, le 19 octobre 2012
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Mortel huis clos
Comédie dramatique en trois actes, La Grange relate le huis clos entre treize ouvriers agricoles enfermés dans une grange. Leur mission ? Décharger des voitures chargées de tonnes de foin. Du foin, encore et encore.
A ce travail titanesque s’ajoute la notion d’enfermement. Pourquoi sont-ils là ? Qu’ont-ils fait, quand vont-ils sortir ? Et puis ce foin, si il se met à pourrir, vont-ils mourir intoxiqués ? Dès lors, cela vaut-il la peine de poursuivre ce travail fatiguant ?

Une situation de crise qui provoque des réflexes différents chez les uns et les autres : peur, rancœur, jalousie, tristesse, domination. Des sentiments auxquels succèdent peu à peu une forme de résignation, comme si la mort n’allait rien épargner sur son passage.
Drôle d’ambiance du début à la fin, un brin absurde, assez cruelle, souvent ironique. Le lecteur est partagé entre l’émotion qui étreint les protagonistes et le sourire qu’ils font naître à travers leurs réflexions pleines de naïveté ou de bon sens.
On rit des rivalités hommes-femmes, des plaisanteries grivoises, des langues bien pendues qui dessinent une comédie humaine alléchante.
Puis on reprend conscience des charrettes qui bloquent l’entrée de la grange, du foin humide qui sent de plus en plus mauvais. Le doute s’installe insidieusement. Avec lui, la peur. Une peur qui fait voler en éclat l’apparente harmonie qui règne au sein du groupe. L’autorité du meneur est contestée. L’inquiétude sourd. Le cœur se serre.

L’injustice de la situation est bien présente et rapidement, d’un contexte général émergent des attitudes particulières, chacun pensant avant tout à lui. La boucle se poursuit, on tente de sauver sa peau tout en regardant plus loin, en posant un regard acerbe sur un régime qu’on dénonce à demi mots, en ne le comprenant pas, en le craignant et en le respectant tout à la fois.
A travers cette grange, devenue prison, c’est une société qui se retrouve disséquée sous nos yeux impuissants.

Un beau texte théâtral à replacer dans le contexte de sa création, lorsque l’Estonie était encore l’Union soviétique.
L’impossibilité qu’a l’Homme de s’échapper dans ce récit prend aux tripes de manière lente, précise et efficace ; le récit n’en est que plus effroyable et pourtant, on se surprend à sourire face à ces personnages truculents qui se balancent des vannes. Jusqu’au moment où la peur a tout envahi et qu’on se rend compte qu’il est trop tard. Implacablement bien mené.
La subtilité du jeu, les non-dits, l’humanité des personnages, leur naïveté tout comme leur clairvoyance… autant d’éléments qui séduisent le lecteur, embarqué dans ce huis clos étouffant.