« Mon camarade », « Vaillant », « Pif gadget »... l'histoire complète, 1901-1994
de Richard Medioni

critiqué par JulesRomans, le 12 octobre 2012
(Nantes - 66 ans)


La note:  étoiles
Pour le "Pif" c'est bien, pour les autres cela manque un peu de nez
Ce titre répond à un besoin des lecteurs de "Pif" de connaître son histoire, et il le fait parfaitement ; par ailleurs il explique de façon précieuse aux chercheurs en littérature de jeunesse comment le Parti Communiste français saborda sous la conduite de Georges Marchais ses éditions en direction des enfants (que ce soit des journaux ou des livres). Ces productions, souvent d’une grande qualité d’écriture avaient une touche d’originalité, et proposaient un contenu qui était souvent original (sans relever systématiquement pour autant de l'idéologie marxiste). Ce ne sont pas que les instituteurs aujourd'hui retraités, en fonction dans les années soixante-dix en banlieue rouge, qui se rappellent (parce que le choix des bibliothèques scolaires devait se faire chez ces éditeurs) des livres édités par Messidor et La Farandole. Ils étaient de grande qualité dans la majorité des cas et on a même eu une réédition de "Jack le simple" de Thérèse Dispan de Floran, directrice dans les années 1920 des "Petits Bonhommes". "Mon camarade, Vaillant, Pif Gadget : L’histoire complète 1901-1994" est divisé en quatre parties chronologiques, la première va de 1901 à 1939 avec une présentation rapide de journaux socialistes et communistes, la seconde parcourt l’espace 1945-1969 celui du journal "Vaillant" et les deux dernières permettent d’aborder les deux phases de l’histoire de "Pif". Toutefois est absente la période 2004-2008 où "Pif", l’auteur a préféré ne pas en parler et il a eu raison. En effet il s’agit là d’un ouvrage d’un témoin et non d’un historien, en conclusion dès que l’auteur s’éloigne de ce qu’il a vécu et des observations qu’il a fait lui-même sur la presse des jeunes d’après 1947, le lecteur doit être très méfiant. En effet à une méconnaissance du contexte (faute d’avoir lu ou assimilé des ouvrages du type de "Haro sur le gangster" par exemple), il y ajoute des jugements de valeur parfois droits venus de haines politiques personnelles pouvant être liées d’ailleurs à une autre époque que celle qu’il évoque précisément. Le meilleur exemple est à la page 103 : « À peine sorti le premier numéro, le directeur de presse du gaulliste Jacques Soustelle, alors ministre de l’Information, soucieux de limiter l’impact du nouveau journal, exige de supprimer de Vaillant "les histoires en images" (…) Mais Soustelle a la hargne de celui qui sera plus tard un dirigeant de l’OAS ». Si Richard Medioni avait parcouru attentivement "Haro sur le gangster", il aurait lu pages 116 et 117 : « une circulaire du 13 janvier 1945 du ministre de l’Information, Pierre-Henri Teitgen (…) prononce la suspension de tous les journaux d’enfants en raison des difficultés d’approvisionnement en papier. Le successeur de Pierre-Henri Teitgen, Jacques Soustelle, ne revient pas sur cette décision ». Si Vaillant n’est pas un journal pour enfants, comme ses dirigeants le laissent entendre pour pouvoir continuer à paraître (on osera parler de pieux mensonge ici), il n’a pas à avoir un contenu avec des histoires en images. Critère objectif d’appellation contrôlée (un peu d’humour) qui concerne tous les journaux soi-disant pas pour enfants. Pour les qualificatifs au sujet de Soustelle (autre que son titre de ministre) on se demande ce qu’ils ont à faire là a priori. De plus ils relèvent d’une méconnaissance du parcours politique de Soustelle et de l’histoire du gaullisme. Soustelle est à l’époque député UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance, un parti dont plus tard F. Mitterrand sera le leader) et le mouvement politique gaulliste n’est apparu qu’en 1947, alors que le passage de Soustelle à ce ministère est antérieur. En outre sur la question de l’Algérie, Soustelle passera d’abord par la case gouverneur de l’Algérie où nommé par Mendès-France, il est critiqué pour sa politique favorable à l’égard des musulmans. Assimiler sa décision comme l’amorce d’un tournant vers l’OAS, qu’il réalisera plus de quinze après, est assez incongru. Autre exemple de manque de recul à la page 25, l’auteur dit que dans "Les Petits bonhommes" (journal non lié directement au mouvement communiste) les bandes dessinées « ont au moins trente ans de retard sur leur temps ». Parmi les conséquences de la Grande Guerre, et jusqu’au lancement du "Journal de Mickey" en octobre 1934, on a le fait qu'il n’y a quasiment aucun renouvellement chez les auteurs en histoires en images, que les éditeurs bloquent complètement pour le passage aux bulles et qu’on en reste donc au genre des images de Christophe. Donc pendant trente ans on est dans le même style, ce que Richard Medioni constate et critique naïvement. En se permettant de parler de "retard" il aurait fallu préciser sur ce qui se fait aux USA, mais idéologiquement cela le gênait peut-être d'évoquer un leadership américain. Visiblement c'est à un parcours très rapide que le journal "Les Petits bonhommes" a eu droit pour être qualifié ainsi. Sinon l'auteur aurait vu dans les nombreux numéros d’avril 1925 à janvier 1926, une bande dessinée satirique "Bourlekrane part pour le Maroc" qui dénonce la guerre du Rif. Celle-ci est signée Aristide Perré, justement un des très rares talents qui émergent après la fin de la Première Guerre mondiale. Aristide Perré a en particulier repris les "Pieds nickelés" de Forton, à la mort de ce dernier. On trouve aussi Calvo (celui de "La Bête est morte") et Raymond Cazanave, soient deux des autres très peu nombreux nouveaux crayons des Années folles. Raymond Cazanave est toutefois signalé comme collaborateur des "Petits bonhommes" à la page 103 sur "Vaillant", il sert à valoriser le deuxième titre et non le premier. Est-ce une erreur de perspective ou une volonté confirmée de dénigrer l'intérêt des histoires illustrées dans le premier titre ? Bref sur "Les Petits bonhommes", le livre passe non seulement un peu à côté mais en plus dit des choses qui ne reflètent absolument pas l’intérêt du journal en matière d’histoires illustrées. La présence de Thérèse Dispan de Floran, une directrice alors communiste (elle quitte le PCF en 1929 au moment où il se stalinise avec la montée de Thorez) au sein des "Petits Bonhommes" est bien mis en évidence. Ce journal est signalé comme patronné par le syndicat national des instituteurs qui est largement de tendance socialiste et dont à l'époque (années 1920) les militants de sensibilité communiste ne sont pas membres. Manque l’information qu’il était aussi soutenu par le syndicat des enseignants adhérent à la CGTU où se côtoyaient alors des instituteurs marxistes (au sens large) comme Célestin Freinet et anarcho-syndicalistes, mais fallait-il encore la décrypter.
En conclusion cet ouvrage a des défauts très minimes pour un ouvrage de témoignage. Le problème est qu'il s'avance comme un livre d'histoire à visée quasiment encyclopédique ("L’histoire complète 1901-1994") sur le sujet qu'il traite. Ces défauts auraient pu être évités en s’assurant le concours d’un historien reconnu de la BD. Pas obligatoirement un universitaire d’ailleurs, le tandem Louis Cance (d’ailleurs ancien collaborateur de "Pif") et Guy Lehideux de la revue "Hop" ou un des anciens du "Collectionneur de bandes dessinées" aurait bien amélioré le contenu en gommant en particulier tous ces jugements de valeur souvent maladroits et introduit la rigueur qui manque ici. Notons que les reproductions sont toutes en noir et blanc, mais une partie des originaux n'était pas en couleur.