La chaise vide et autres récits inédits : Suivi du Ministère de la peur ; Le Dixième Homme ; Une sorte de vie ; Les Chemins de l'évasion
de Graham Greene

critiqué par Tistou, le 4 octobre 2012
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Un « Whodunnit » inachevé et 20 nouvelles inédites
Le manuscrit de « La chaise vide » fut retrouvé en 2008 dans les archives de l’Université du Texas, à Austin. Il a probablement été écrit dans les premières années d’écriture de Graham Greene, en 1926, soit un an après sa toute première publication ; un recueil de poèmes « Babbling April ».
Ce manuscrit est inachevé et, s’agissant d’un « Whodunnit » (en plus français : « Qui a fait le coup ? », le genre illustré par Agatha Christie ou Conan Doyle par exemple), ça laisse une impression étrange finale, évidemment une certaine frustration …
Par ailleurs Graham Greene y exprime la conception de l’époque du « Thriller », totalement à l’envers du mouvement actuel, technologique et scientifique en diable. Ecoutons ce que nous dit Mr Mayburry, le responsable de l’enquête dans « La chaise vide » :

« Aucune de ces découvertes ne change la nature humaine. Si j’attrape ce meurtrier, ce sera parce qu’il a fait une erreur, non pas une erreur que l’on découvre à l’aide d’un microscope ou d’un rayon X, mais une erreur que je peux voir de mes yeux plutôt myopes. Il ne sera pas pendu à cause d’une nouvelle machine plus intelligente que lui, mais parce que je suis plus intelligent que lui. »

De quoi est-il question ? Un beau manoir anglais, un rassemblement d’invités chics, un huis-clos et au matin, l’un d’entre eux manque à l’appel. Il est retrouvé mort poignardé au cœur sur son lit dans sa chambre fermée de l’intérieur. De l’Agatha Christie ou du Conan Doyle, vous dis-je ! Un jeune inspecteur arrive, porté sur l’avènement de la police scientifique de l’époque : les empreintes digitales ( !!!). Graham Greene le ridiculise avec la prise en main de l’enquête par un plus haut gradé, vieillissant et méfiant, comme on l’a vu plus haut vis-à-vis des technologies modernes. Les choses ne sont en effet pas si simples. Et elles le seront si peu que nous resterons sur notre faim puisque de fin, justement, il n’y a pas. Le manuscrit est resté inachevé !
Cet ouvrage, que Graham Greene classait parmi les « divertissements », un peu comme ses nouvelles, est sensiblement différent de ses romans, plus littéraires, « religieux » ou d’espionnage. Il n’installe pas, en effet, autant le décor, se concentrant certainement sur la cohérence des faits tout en leur laissant la dose de mystère nécessaire. Par contre le traitement psychologique est toujours aussi fin. On a l’impression, presque, qu’il a un compte à régler. Avec l’avènement de la modernité, de la mise en avant de la technique au détriment de l’humain …
A ne lire que par ceux qui acceptent de ne pas avoir la clef finale …

Les autres récits inédits dont il est question sont en fait des nouvelles et des « introductions », à des romans d’autres ou de ses rééditions : 20 nouvelles et 3 introductions.
S’agissant des nouvelles, et de nouvelles inédites, elles sont très disparates et font un peu office « de laboratoire lui permettant de faire ses gammes et d’expérimenter des genres littéraires différents ». De 3 pages à 27 pages, les formats sont variés et témoignent de l’éclectisme et de l’esprit curieux de Graham Greene. Je ne m’intéresserai particulièrement qu’à l’une d’entre elles ; un « What if … ? » - j’ignorais le terme qui décrit un récit allant à l’encontre de la vérité historique, « Que se serait-il passé si … ? » - « Le lieutenant est mort en dernier ».
Cette nouvelle a été écrite en 1940, à des fins de propagande. Le but était d’encourager les américains à rejoindre le camp allié.
Potter, un coin minable de banlieue au nord de Londres, est la cible d’un commando de parachutistes allemands, commandé par un lieutenant. Profitant de l’effet de surprise, la population, réduite, est rassemblée et tenue prisonnière cependant que les soldats commencent leurs actes de sabotage. Mais le vieux Old Purves, braconnier de son état, est passé à travers – il posait des collets sur les terres de Lord Drew, pensez !
Il assiste, médusé, après avoir vu les parachutistes descendre du ciel sans en comprendre le sens, à des tirs des soldats descendus du ciel sur un jeune garçon qui s’enfuyait. Rassemblant ses forces et vidant sa bouteille de whisky, il se remémore sa participation à la guerre des Boers et fait échec à lui seul à cette tentative audacieuse allemande. Le lieutenant mourra en dernier …
Maintenant, dire que c’est cette nouvelle qui aura fait basculer les Américains dans le camp allié … il y a un pas que personne ne franchit ! Ce n’est pas du Graham Greene classique avec introspection à « en veux-tu en voilà ». C’est une histoire. Aux fins de propagande.
Pour les adorateurs de Graham Greene, il y en a encore 19 autres. Inédites.

P.S. Le recueil contient également 2 autobiographies de Greene (« Une sorte de vie » et « Les chemins de l’évasion ») et 2 autres romans (« Le ministère de la peur » et « Le dixième homme »). Tous ceux-ci sont critiqués individuellement par ailleurs.
P.S.2 Il est peut-être bon de préciser qu’en ce qui concerne la découverte et la traduction de « La chaise vide », le mérite en revient à François Gallix. De manière similaire, les traductions des récits inédits subséquents (20 nouvelles et 3 introductions) sont à mettre au crédit du même François Gallix et (ou) Isabelle D. Philippe.