Sonietchka
de Ludmila Oulitskaïa

critiqué par Isaluna, le 4 décembre 2002
(Bruxelles - 68 ans)


La note:  étoiles
Sonietchka ou le bonheur immérité...
Comment ne pas être attirée par une héroïne qui, nous dit l'auteur, "tombe en lecture comme on tombe en syncope"? Pour Sonietchka, les personnages imaginaires sont aussi vivants que ceux qu'elle côtoie tous les jours.
Dans la Russie des années 30, elle s'évade ainsi d'une vie terne et sans grâce, jusqu'au jour où, dans la pénombre de la réserve d'une bibliothèque, elle rencontre Robert Victorovitch, un peintre plus âgé qu'elle, qui la demande en mariage. Sonia s'éveille alors d'un long sommeil, se voue corps et âme à ce mari qui l'éblouit, à sa fille Tania, à ce bonheur insoutenable et immérité à ses yeux.
Tellement immérité que lorsque Robert consacre les dernières années de sa vie à une jeune maîtresse, Sonia malgré son chagrin est comme soulagée du poids trop lourd de ce bonheur qui lui avait toujours paru illégitime. Et comme si une parenthèse se refermait sur la vie, Sonia replonge la tête la première dans les livres et la magie des mots. Un superbe portrait de femme qui m'a rappelé à certains égards "la femme de Gilles" de Madeleine Bourdouxhe. Ce personnage émerveillé par son bonheur, et qui puise dans la fiction des livres ce qu'elle ne trouve pas ou plus dans sa propre vie m'a beaucoup touché. Autour d'elle se dessine la Russie d'après-guerre, ballottée entre la grisaille du communisme qui s’essouffle et les aspirations des générations nouvelles.
La vie comme une parenthèse ! 10 étoiles

Ludmila Oulitskaïa (1943- ) est l'auteure de nombreux romans et nouvelles, ainsi que de plusieurs scénarios de films.
"Sonietchka" est son 1er roman publié en 1955 en Russie et traduit en 1996 en France (Gallimard)
La même année, elle reçoit le prix Médicis étranger pour Sonietchka.

La jeune Sonietchka (diminutif de Sonia) est "tombée en littérature" dès sa plus tendre enfance. C'est tout naturellement qu'elle rejoint une bibliothèque.
Un peu comme tombée du ciel, elle accepte la demande en mariage de Robert Victorovitch, un peintre plus âgé qu'elle de retour d'Europe et mis à l'index par le régime stalinien.
Elle va alors consacrer tous ses instants à sa fille (Tania) et son mari, intimement convaincue qu'elle ne mérite pas ce bonheur familial.
Tania est une jeune fille délurée, qui délaisse les études et multiplie les expériences amoureuses.
Elle se liera d'amitié avec Jasia, une jeune polonaise orpheline, principalement préoccupée par son ascension sociale et ne reculant devant aucun sacrifice pour gravir les échelons.
Cette dernière "occupe" rapidement le foyer familial de son amie et devient la maîtresse affichée de Robert.
Tania rejoint Saint-Pétersbourg, Robert meurt et Jasia retrouve sa Pologne natale.
Sonia referme la parenthèse de sa vie. Elle retrouve sa solitude passée et ses livres alors que la côte du peintre "Victorovitch" flambe.

Un 1er roman très court (une centaine de pages), émouvant, comme une parenthèse.
En toile de fond, la Russie des années 40 à 60. Le collectivisme, la misère profonde et la censure.
Mais également, une création artistique débridée.
3 portraits de femmes comme autant de visages d'une Russie changeante.
Un court moment de grâce comme la littérature russe sait en produire !

Frunny - PARIS - 59 ans - 11 novembre 2017


Le bonheur tranquille de la perfection du verbe 8 étoiles

On dit que les gens heureux n’ont pas d’histoire, et pourtant ce court roman raconte les différentes étapes de la vie simple et paisible d’une femme modeste qui a trouvé les secrets de la plénitude.

Rédigé au passé simple, ce récit d’une centaine de pages donne l’impression qu’on entre dans un conte dont l’héroïne est Sonietchka, jeune femme quelconque et discrète mais atteinte d’un amour immodéré pour la lecture, amour qui peut être considéré comme « la forme bénigne d’une aliénation mentale »mais qui lui procure « le bonheur tranquille de la perfection du verbe ».
Le second secret de sa plénitude réside dans le fait d’aider les autres à s’accomplir, dût-elle y perdre elle-même une part de son équilibre. « Comme la vie est bien faite » considère-t-elle …

On parle à présent de « feelgood movies » des films qui font du bien, pourquoi ne parlerait-on pas des feel good books ? A coup sûr, pour moi, SONIETCHKA en représenterait un.

Non seulement en raison de la personnalité de l’héroïne du récit, mais aussi en raison de l’écriture de l’épure, de l’art de la litote que maîtrise ici Ludmilla Oulitskaïa. Quelques mots, une comparaison lui suffisent à caractériser un personnage ou une situation. Tout est dans le non-dit. Elle évoque Sonietchka sans mièvrerie, avec tendresse, parfois aussi avec un peu d’humour mais sans la juger ni la présenter comme un modèle de sagesse .

A chaque lecteur, selon sa sensibilité de laisser cheminer en lui l’image du personnage. Pour moi, elle présente les caractéristiques de ceux à qui, dans le discours des Béatitudes sont promis le Royaume des cieux, elle fait partie des cœurs purs, des doux, des miséricordieux, des artisans de la paix. Pourtant, c’est sur terre que Sonietchka trouve dès à présent sa récompense.

Alma - - - ans - 21 février 2016


Une possédée de lecture! 10 étoiles

Que dire de plus sur ce petit livre, ou cette grande nouvelle (une centaine de pages) qu’est « Sonietchka », et qui n’a pas encore été dit dans les excellentes critiques précédentes ?

J’aimerais quant à moi un peu parler de la très belle écriture de Mme. OULITSKAÏA

Je dois dire que j’ai aimé, que dis-je, adoré cette écriture simple, claire, toute en douceur, toute en émotion, ciselée, belle, très poétique, presque monotone… Dans la continuité même de tous les grands écrivains russes dont parle le livre. Il n’y a pas ici d’action, de retournement, de trahison, de surprises, le livre est tout en simplicité et en douceur.

Enfin, un mot des personnages, en particulier de Sonia bien sûr (qui n’a pas été sans me rappeler celui de « Beauté » dans le livre « Les neiges bleues » de Piotr BEDNARSKI), qui est une figure magnifique de par sa tendresse, son amour, sa sérénité, sa simplicité, son altruisme et qui dégage une aura dont je me souviendrai sans doute très très longtemps…

Un pur moment de bonheur !... Je ne peux que vous conseiller de laisser Sonia entrer dans votre vie et… L’illuminer !...

Rappelons que « Sonietchka » à reçu le Prix Médicis étranger en 1996.
Mme. OULITSKAÏA a également reçu le Prix Booker russe en 2001, le Prix Simone de Beauvoir en 2011 et le Prix Park Kyung-ni en 2012.

Septularisen - - - ans - 11 novembre 2015


Comme un tableau de Chagall 7 étoiles

J'ai commencé la lecture de "Sonietchka" attirée, tout comme Isaluna, par ce personnage "qui tombe en lecture comme on tombe en syncope". Je m'attendais donc à lire une célébration de la lecture, mais au moment de refermer le livre, j'ai plutôt eu l'impression d’émerger d'un tableau de Chagall, un univers de fantaisie joyeuse et colorée, malgré les difficultés auxquelles Sonia et sa famille doivent faire face, la misère de la vie en relégation, le froid et la faim (mais il est vrai que Chagall aussi connut la misère surtout pendant sa jeunesse en Russie). J'ai en tout cas passé un très bon moment en compagnie de Sonietchka.

Pour répondre à la question de Libris Quebecis:

Non, en tant que "jeune femme occidentale moderne", je ne me reconnais pas dans ce personnage de femme qui ne vit que par ses livres et par sa famille (même s'il m'arrive parfois de me plonger dans un livre au point d'oublier complètement le monde extérieur). Mais cela ne me parait pas très important. Je ne peux pas non plus m'identifier au personnage de Tora ou à Laudes-Marie Neige-Daout, mais cela ne m’empêche pas de trouver que la trilogie d'Herbjorg Wassmo et la Chanson des Mal-Aimants de Sylvie Germain sont des livres magnifiques! La lecture permet certes de se découvrir soi-même, mais aussi de découvrir des mondes ou des cultures complètement différents de ceux dans lesquels nous vivons, et de "rencontrer" des gens que nous ne pourrions pas rencontrer dans la "vraie" vie. Pour moi, "Sonietchka" rentre dans cette 2ème catégorie, et c'est très bien ainsi...

Fee carabine - - 50 ans - 15 juin 2004


Vivre par procuration 8 étoiles

Il est vrai que c'est un beau livre, mais je me demande si les femmes voudraient se reconnaître dans l'héroïne, qui ne vit qu'à travers ses livres et son mari.
Il me semble que Ludmila Oulitskaïa brosse le portrait d'une femme à qui personne ne voudrait ressembler. C'est une femme qui s'oublie totalement pour permettre aux autres d'être. En plus, se trouver heureuse d'être la servante d'autrui me semble le comble du mépris de soi-même. Il faut dire que l'auteur nous plonge dans la Russie des années 30.
L'héroïne pousse tellement loin son esclavage qu'elle s'accommode même sous son toit de l'infidélité de son mari.
Après sa mort, elle s'occupera même de son amante afin qu'elle puisse regagner sa Pologne natale.
Elle finira ses jours abandonnée de tous, même de sa fille partie avec son fiancé sans laisser d'adresse. Sonietchka a vraiment mené une vie triste et meurt finalement dans un hospice, seule comme un rat dans son égout.
Le grand talent de l'auteur, c'est de réussir à introduire le lecteur, grâce à la simplicité de son écriture, dans l'univers de cette femme qui ne demandait pas grand-chose à la vie. Ce n'est sûrement pas le modèle recherché par la jeune femme occidentale.
Ce roman reste quand même un beau portrait de ce que fut la femme dans un temps pas si lointain, mais aussi de ce qu'elle est encore quand on quitte l'Occident.

Libris québécis - Montréal - 82 ans - 12 décembre 2002


Un bon livre ! 7 étoiles

J'aime beaucoup Oulitskaïa, dont ce livre. C'est vrai que cette femme a quelque chose d'incroyable, mais aussi de pitoyable. "... à ses yeux, les personnages imaginaires existaient au même titre que les êtres vivants, que ses proches, et les nobles souffrances de Natacha Rostov au chevet du prince André mourant avaient la même authenticité que le chagrin déchirant qu'éprouva sa soeur lorsqu'elle perdit sa petite fille de quatre ans par suite d'une négligence stupide..." J'ai aussi adoré son livre "De joyeuses funérailles". Il se passe dans les milieux immigrés russes à New-York. Un peintre se meurt dans son atelier entouré de sa femme et de ses proches. Mais il y a aussi tous ses amis et connaissances. On boit du thé, de la vodka, on dort un peu partout, on mange. Se pointent un pope et un rabbin et tous d'assister aux conversations dans un va et vient des moins protocolaire. Le futur défunt, couché et appuyé sur des oreillers, participe activement à toute cette vie et débauche d'énergie des vivants alors qu'il est déjà presque parti vers l'autre côté. Seuls les Russes peuvent vous créer une telle ambiance au sein d'un tel climat !
Ludmila Oulitskaïa écrit très bien, pose bien ses personnages et crée des ambiances bien particulières. Comme beaucoup d'auteurs étrangers (américains ou autres) quand ils parlent de notre pays, elle cite des lieux de la guerre 14-18. Ici, son héros Robert aurait vécu deux mois avec Apollinaire avant que d'être envoyé au front à Ypres. Faulkner, Harrison, Auster (pour Waterloo), Hemingway, Roth, et bien d'autres ont fait de même.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 5 décembre 2002