Moise et le monothéisme
de Sigmund Freud

critiqué par Eric Eliès, le 8 septembre 2012
( - 50 ans)


La note: étoiles
Moise était-il un prêtre égyptien du culte d'Aton, que les Juifs assassinèrent lors de l'Exode avant d'épouser sa conception d'un Dieu unique ?
La thèse défendue par Sigmund Freud, fondée en grande partie sur des arguments linguistiques et psychanalytiques, est surprenante et je ne sais pas si elle a depuis été oubliée ou réfutée ou reprise par des historiens.

Selon Freud, Moise (dont le nom est égyptien) était un grand prêtre égyptien du culte d’Aton. Après la mort du pharaon Akhénaton, qui avait proscrit les anciens cultes et institué celui d'Aton qui fut la première religion rigoureusement monothéiste de l’Histoire, le culte s’effondra et Moise dut fuir l’Egypte pour échapper aux représailles contre le clergé d’Aton. Pour Freud, Moise est sans doute contemporain de la fin du règne d’Akhénaton car c’est la seule période où le désordre politique rendit possible un exode massif. Moise s’exila avec ses fidèles et ses proches (qui constituèrent les Lévites) et ses serviteurs juifs vers la région de Canaan, ravagée par l'anarchie, pour y fonder un nouvel empire et imposer la pratique de son culte. Moise fut ainsi, pour les Juifs d’Egypte, à la fois un prêtre et un législateur. Mais Freud, à partir de sa lecture de l’Hexateuque corroborée par des travaux d’historiens (il cite en particulier Ed Meyer et Ed Sellin), estime que Moise fut assassiné par les Juifs lors d’une révolte contre son autorité et que les Juifs abandonnèrent alors le culte d’Aton. Néanmoins, les Lévites continuèrent d’entretenir les valeurs et les traditions liées à l’enseignement de Moise. Lors de la réunion des tribus juives à Quadès (sud de la Palestine), où la religion de Javhé (sans doute empruntée à la tribu arabe des Midianites) devint la religion commune à toutes les tribus, les Juifs égyptiens obtinrent ainsi de conserver leurs traditions rituelles dont certaines (telle la circoncision) furent généralisées à l’ensemble des tribus. Les textes bibliques relatifs à ce moment décisif de l'Histoire peuvent générer une certaine confusion car le berger Moise ne peut pas être le Moise de l'Exode hors d'Egypte. Au fil des ans, le culte de Javhé (qui n'était qu'un dieu des volcans, féroce et local) subit une lente érosion et devint peu à peu le dieu de Moïse lorsque les Juifs, par un lent retour du refoulé chez les Juifs issus des Juifs égyptiens et en raison des épreuves subies (exode babylonien, etc.), se rallièrent à l'idée d'un Dieu unique embrassant tout l'univers et qui disposerait de la toute-puissance, rejetant toute magie, toute sorcellerie et faisant de la vérité et de la justice les buts les plus élevés de l'humanité, qui seraient récompensés par une félicité éternelle. Il fallut néanmoins aux Juifs re-écrire leur histoire pour, par des glissements de temps et d’espace qu'il faut savoir déchiffrer dans les textes, effacer les racines égyptiennes de leur religion et les traces du meurtre commis contre Moise. Pour Freud, ce remords du meurtre initial, qui est sans doute à l’origine de la notion de pêché originel, a incité les Juifs à spiritualiser sans cesse leur religion et les a menés vers un ascétisme et des questionnements éthiques inconnus des autres peuples de l’Antiquité.

Freud déplore fréquemment ne pouvoir formuler que des suppositions invérifiables mais il semble très fortement convaincu par le bien-fondé de ses hypothèses. Outre les arguments historiques et linguistiques qu’il emprunte à d’autres, Freud établit une analogie, selon lui troublante, entre Moise, tel que les textes religieux le décrivent, et le père fantasmé par les enfants abandonnés. Il cite également son analyse, extraite de « Totem et tabou », de l’évolution de l’humanité depuis le meurtre du père dans la horde primitive (cf les travaux de Robertson Smith, à qui Freud rend un vibrant hommage)