L'invité
de Hwang Sok-Yong

critiqué par Falgo, le 2 septembre 2012
(Lentilly - 86 ans)


La note:  étoiles
Un écrivain majeur
La lecture de ce deuxième livre après "Le vieux jardin" confirme mon impression première: Hwang Sok-yong est un écrivain majeur, de ceux qui, s'attachant à leurs racines, atteignent à l'universel.
L'invité, dans les campagnes coréennes, était le nom donné à la variole, maladie assassine apportée par les étrangers en Corée, comme en d'autres régions du monde. Un rite chamanique en douze épisodes avait alors été imaginé pour consoler les âmes des défunts. Hwang Sok-yong transpose métaphoriquement en douze chapitres ce rite dans d'autres circonstances: les idéologies ennemies du communisme et du libéralisme.
Ryu Yosop est un pasteur protestant (on n'attend pas une telle position dans un roman coréen) émigré aux Etats-Unis en compagnie de son frère aîné, Ryu Yohan - qui meurt au début du roman - , à la suite des soubresauts liés à la guerre de Corée (1950-53). Il est autorisé, après 35 ans d'exil, à se rendre en Corée du Nord, son pays natal, pour y rencontrer les membres survivants de sa famille. Ce voyage devient une sorte de pèlerinage initiatique et expiatoire. Ryu Yosop rencontre les vivants, mais aussi les morts qui lui apparaissent comme des fantômes. Il est conduit à se replonger dans les évènements terribles qui ont accompagné dans sa région la lutte entre les Coréens adeptes du communisme et ceux (dont la communauté protestante) attirés par le libéralisme, en résonance avec les intrusions des Chinois et des Américains (les deux porteurs d'une nouvelle sorte d'"invité"). Il sait que les Coréens, sa famille, ses amis, ses voisins, se sont sauvagement entretués et son voyage le replonge dans toutes ces horreurs qu'il a vues et auxquelles son frère Yohan a participé, étant l'un des chefs de l'un des deux camps.
Le grand talent de cet auteur est de mêler constamment vie quotidienne et souvenirs des uns et des autres, sans compter les fantômes qui reviennent comme des vivants perturber la conscience. Ce roman, d'une extrême gravité, relate des faits survenus dans un contexte local et prend, par le sujet qu'il traite et la manière par laquelle il le fait une dimension universelle. On ne peut, par exemple, éviter de penser à la tragédie rwandaise de 1994, si proche des faits relatés ici, encore qu'à une échelle encore plus terrifiante.
Evitant tout manichéisme, Hwang Sok-yong conduit le lecteur à s'abstenir des jugements en blanc et noir pour l'amener vers l'indispensable travail de deuil que chaque population et chaque individu concernés par de telles circonstances doivent entreprendre. Cet écrivain prend à bras le corps les douleurs et les interrogations du XX° siècle comme peu ont su le faire. Son grand mérite est de savoir décrire destins individuels et préoccupations sociales et collectives dans un même mouvement pour dresser une fresque inoubliable. Sans compter le discret humour qui accompagne la plongée de "l'américain" dans le contexte communiste nord-coréen. Chapeau.
Voyage en Corée du nord pour faire parler les fantômes de passé 8 étoiles

Hwang Sok-yong livre un roman qui fera date et qui immortalise une période de l’histoire coréenne trouble, peu glorieuse et pourtant significative. Il est précieux qu’un tel roman existe sur la question, surtout pour le peuple coréen.

Le titre « L’invité » repose sur plusieurs niveaux de lecture qui sont expliqués dans la préface du roman. C’est au départ la variole qui s’invite cruellement en Corée. C’est aussi l’influence des grandes puissances sur le pays, qui ont alimenté des idéologies différentes au sein du peuple coréen, engendrant ainsi la scission du pays. Ainsi, le lecteur mesure que ce petit pays n’a semble-t-il pas maitrisé sa destinée, tiraillé par des puissances supérieures qui ont fait naître les tensions que nous connaissons. Il y a d’un côté la pensée communiste, de l’autre les idées plus libérales portées par les Américains qui se sont invitées de façon ironique dans ce pays. Cet affrontement idéologique s’est joué sur le territoire coréen. De façon tragique, cela a façonné la Corée d’aujourd’hui.

Ryu Rosop, pasteur exilé aux Etats-Unis, suite à la mort de son frère, a la possibilité de retourner en Corée du Nord, par le biais d’un organisme. Evidemment, tout est surveillé et contrôlé. Ce retour aux origines est balisé et suivi de près par des nord-coréens. Par ce biais, l’écrivain donne la parole à de nombreux personnages qui témoigneront, laissant comprendre que des horreurs ont été réalisées dans les deux camps. L’auteur ne distribue pas les bons points et montre jusqu’où les hommes peuvent aller quand il s’agit de défendre leurs idées et leurs proches. Le frère de Ryu Rosop n’a pas brillé à cet égard. Là où le roman devient particulièrement intéressant est lorsque les fantômes aussi prennent la parole et viennent converser avec les vivants. L’énonciation est trouble à certains moments tant les personnages sont nombreux. Parfois même, nous avons l’impression que les personnages ne parlent que d’une seule voix. Ce retour au pays devient un moment durant lequel la parole devient libératrice et tend à clarifier la situation, quitte à ébranler les personnages et les lecteurs. Certaines scènes racontées sont d’une grande violence, mais il est salutaire qu’un écrivain ait eu le courage de raconter et d’offrir à ce peuple un roman comme celui-là, douloureux et authentique.

Ce roman nécessite de l’attention afin de replacer chaque personnage et d’entendre ces prises de parole comme des témoignages. Pénétrer en Corée du nord peut aussi répondre à une certaine curiosité et le roman répondra à certaines de nos questions. L’écrivain lui-même est parti dans ce pays de façon illégale, ce qui lui a valu d’être emprisonné. Donc, le roman s’enracine dans la réalité et certains détails sans doute résultent des observations de l’écrivain même. Ce n’est pas un roman qui compte pour l’enchainement des péripéties, mais il est essentiel pour ce qu’il révèle sur un pays meurtri qui a vécu des horreurs et qui ne s’en est toujours pas remis pleinement.

Pucksimberg - Toulon - 46 ans - 25 décembre 2025


Quand les fantômes s'invitent à votre table 8 étoiles

Ecrivain engagé, condamné en 1993 à sept ans d'emprisonnement suite à un séjour effectué illégalement en Corée du Nord, c'est deux ans après avoir été gracié que Hwang Sok-yong présente 'L'invité'. Initialement proposé sous la forme d'un feuilleton publié dans un journal coréen, ce roman, outre une chaleureuse réception, fut récompensé par le prix Daesan (1) en 2001.

S'inspirant de faits réels ainsi que de quelques témoignages, le septième roman signé par Hwang Sok-yong raconte l'histoire du Révérend Ryu Yosop, un nord-coréen expatrié aux Etats-Unis qui, peu après le décès de son frère aîné, part visiter son pays natal pour la première fois après quelques décennies d'exil. A l'aube du troisième millénaire, c'est un véritable voyage vers le passé qu'il s'apprête à effectuer, un voyage au cours duquel Yosop va redécouvrir son pays, renouer avec certains amis et membres de sa famille et revisiter un épisode de sa vie et de l'histoire de son pays. Mais contrairement à de nombreux nord-coréens hantés par la mémoire des événements dramatiques dont ils furent témoins et/ou acteurs, Yosop va tenter pour sa part de regarder l'atroce réalité en face pour en exorciser le mensonge, la douleur et le ressentiment afin de pouvoir finalement cheminer vers le pardon.

Partant des Etats-Unis le récit nous emmène dans la province de Hwanghae où peu à peu nous découvrons un visage méconnu de la Corée du Nord tandis qu'en parallèle, il nous transpose dans les années 1945-48 au moment où, divisés par leurs idéologies et allégeances respectives, villes, villages voire familles se sont déchirés, allant jusqu'à commettre l'irréparable, pour se retrouver éventuellement écartelés, séparés par une frontière, une frontière qui, bien plus que géographique, ne se laissera plus si aisément traverser.

Abordant sous de multiples points de vue les événements ayant marqué cette période, le récit tend à démontrer qu'en période de conflit, personne n'est totalement innocent et que chacun des acteurs, quelle que soit leur position, ont leur part de responsabilité. Ainsi, au-delà du blâme ou de la culpabilité, au-delà du bien et du mal, Yosop tente de naviguer sur une fragile et illusoire ligne de neutralité et c'est assisté par un discours trempé de bons sentiments qu'il se hasarde aux alentours du délicat sujet de la réconciliation, témoignant alors d'une évidente volonté de ne fâcher personne.

Constitué de douze chapitres subdivisés en séquences marquant les nombreux changements de temps et de voix narratives, le roman offre un bon confort de lecture, mais ces voix narratives étant trop semblables dans le ton (ce qui semble être une habitude chez cet auteur) il est facile de se méprendre. En outre, un nombre conséquent de personnages (notons ici que l'inclusion d'une liste aurait pu s'avérer utile), ainsi qu'un contexte et un fond historique auxquels certains lecteurs seront appelés à se familiariser rapidement, sont autant d'aspects appelant à une lecture attentive.

Mais en dépit et grâce à une conception relativement complexe, ce roman atteint un équilibre exceptionnel entre la narration, la construction, l'intrigue et le sujet. Riche tant sur le plan historique que culturel, le récit se prêtant mal aux pirouettes littéraires, dévoile, au gré d'une traduction incertaine (2), une prose calibrée en fonction des situations décrites, des objectifs ainsi que des effets visés.

Un roman d'une qualité remarquable, offrant un regard éclairant sur un aspect parmi les moins connus de l'histoire de Corée, à savoir le rôle joué par les coréens dans le processus ayant mené à la division du pays, 'L'invité' possède de nombreux atouts lui permettant d'occuper une place parmi les pièces de choix en littérature coréenne.


Notes:

1. Le prix Daesan compte parmi les plus prestigieux des prix littéraires décernés en Corée du Sud.

2. Ce compte rendu réfère à la traduction anglaise du roman.

SpaceCadet - Ici ou Là - - ans - 1 août 2015