1789-1815. Carnets de guerre. De Paris à la Berezina, l'aveuglement de Napoléon. Témoignages
de Bernard Coppens

critiqué par _Richard, le 29 août 2012
( - 60 ans)


La note:  étoiles
L’aveuglement de Napoléon – chronique d’un désastre annoncé… de longue date !
Dans ce volume, l’auteur a soigneusement relevé toute une série de témoignages concrets et précis sur le déroulement de la campagne de Russie de 1812.
Il ne s’agit pas d’une narration classique avec, comme souvent, le plus gros chapitre dédié à la bataille de la Moskowa/Borodino mais bien de témoignages écrits relatant, jours après jours, les évènements perçus par l’entourage proche de Napoléon.
La source principale est Caulaincourt qui a eu le privilège de côtoyer l’empereur durant toute la campagne. Mais les autres témoins apportent des informations tout aussi précises et éclairantes que celles données par le duc de Vicence (Caulaincourt).
Les commentaires de l’auteur servent de liens entre les très nombreuses citations et donnent un fil conducteur clair au lecteur pas forcément au fait de tous les détails de cette campagne. Il laisse toutefois la place d’honneur à tous ses « témoins » de l’époque sans jamais travestir leurs propos.
L’ouvrage comporte aussi une carte générale de la campagne où les itinéraires de l’aller et du retour de la Grande Armée sont indiqués ainsi que les principales localités traversées. Là aussi, le souci de fournir au lecteur un document permettant de suivre géographiquement et même stratégiquement le fil des témoignages est évident.
Sans vouloir déflorer tout ce qui fera l’intérêt du futur lecteur, je dirais, concernant le fond,
- que le déroulement et la conclusion de la campagne de Russie de 1812 s’expliquent très clairement à travers la stratégie adoptée par les Russes mais manifestement fort surprenante pour Napoléon (le refus d’une bataille majeure pendant plus de deux mois).
- que la façon de conduire la Grande Armée était inadaptée au pays qui, contrairement à l’Allemagne et l’Italie, n’offrait pas de ressources en abondance à piller tout au long du parcours. Comme Napoléon ne manœuvrait pas de manière classique – càd suffisamment lentement pour attendre ses approvisionnements – les pertes dues à l’attrition furent énormes dès les premiers jours de la campagne (et non uniquement à cause d’un hiver glacial souvent évoqué comme seule cause de l’échec).
- que l’idée irréaliste et méprisante que se faisait Napoléon de ses ennemis lui fit faire des calculs et des pronostics faussés durant toute la campagne.
- que l’empereur a parfois été souffrant, situation ayant pour effet une sorte d’apathie générale de l’armée car personne ne décide rien sans son accord ni à sa place.
- que Napoléon ne voulait jamais voir les éléments ni les ennemis comme un risque majeur pour un homme tel que lui. Un exemple à ce sujet sont ses réflexions rapportées par les témoins cités dans le livre concernant la douceur du climat russe – plus doux qu’à Fontainebleau – car en octobre il y eu quelques belles journées… Il imagine alors que si octobre est si doux (sur base de quelques jours), il a encore trois mois devant lui avant de voir l’hiver…
- qu’à l’aveuglement de Napoléon vient s’ajouter la flatterie de nombreux officiers généraux et autres membres de son entourage – on découvre un Bessières déclarant, après le passage de la Bérézina, que la Garde faisait un véritable festin dans tout le confort d’un chaleureux bivouac – qui va l’encourager dans sa vision toute personnelle des possibilités qui s’offrent à lui.
- que l’empereur, vivant dans un niveau de confort incomparablement meilleur que celui non seulement de l’armée mais aussi de ses propres maréchaux, il se méprend complètement sur l’état de l’armée à la fin de la campagne – notamment lorsqu’il l’aura quittée pour galoper vers Paris.
- que Napoléon, s’il questionne (souvent) et écoute également ceux qui osent être sincères avec lui, il ne tient compte que des avis qui correspondent avec sa vision des choses. En fin de comptes, le déroulement de la campagne dans ses grandes étapes stratégiques lui avait été annoncé non seulement par son fidèle Caulaincourt mais aussi par… le Tsar lui-même !
Je terminerais en précisant que la plume de Caulaincourt (notre témoin-fil-conducteur) étant très agréable également, le tout se lit très facilement et avec le plus grand intérêt.
Une fois de plus, Bernard Coppens réussit à nous donner nombre de sources permettant (enfin ?) d’y voir plus clair sur ces épisodes de l’histoire impériale tant magnifiés par la « vision d’Epinal » proche de l’allégorie entretenue par beaucoup d’auteurs.
Ce livre nous offre un outil supplémentaire nous permettant de réviser voire de réévaluer nos perceptions de ces « épisodes glorieux » de l’Histoire de France.