La vieille dame du Riad
de Fouad Laroui

critiqué par TRIEB, le 28 novembre 2012
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans)


La note:  étoiles
L'HISTOIRE AU BOUT DU COULOIR
François et Cécile Girard, un jeune couple qui s’ennuie un peu dans leur quartier de Belleville à Paris, décident, pour rompre la monotonie de leur existence, d’acheter un Riad à Marrakech. C’est tendance, c’est suffisamment exotique, se disent-ils, malgré la présence dans la ville de nombreux « people « et autres célébrités hexagonales, telles que BHL, Pierre Bergé ou encore DSK. Cette objection ne les décourage nullement . Ils prennent contact avec un agent immobilier, arrêtent leur choix sur un Riad situé dans le centre ville.

Découverte hautement imprévue : une vieille dame habite ce Riad, dont la voix et les propos sont difficilement audibles et on ne peut plus cryptiques : cette femme réclame la restitution de son fils Tayeb. Intrigués par cette énigme, les Girard, qui sont entrés en contact avec un de leurs voisins , Mansour Abarro, veulent tirer tout cela au clair .

Dans la deuxième partie du roman , se dévoilent les origines de cette femme . C’est une esclave , noire , d’un ancien notable nommé Hadj Fatmi ,dont l’un des fils , Tayeb, s’est engagé dans les troupes d’Abdelkrim, chef des rebelles marocains lors de la guerre du Rif . Et c’est là que le roman de Fouad Laroui fait merveille . L’auteur nous rappelle , tout au long de cette phase historique du roman , que le Maroc a connu , peut-être la première guerre insurrectionnelle et révolutionnaire , avant la lettre : la guerre du Rif , que les participants occidentaux à cette guerre s’appelaient Pétain , Primo de Rivera , futurs fondateurs de Vichy et de la phalange franquiste .

L’auteur nous rappelle, sans acrimonie ni rancœur, que le Maroc a résisté à la conquête occidentale, qu’une conférence , tenue à Algésiras en 1911 , a réglé le sort de ce pays . Il y rappelle la volonté de Lyautey de respecter les « mœurs et usages des indigènes ». D’autres réflexions sont énoncées : comment une civilisation en vient-elle à dominer les autres ? Par les armes, la technique, le savoir ? Un peu de tout cela, suggère l’auteur.
A la fin de l’ouvrage, il donne à Tayeb , ce fils intrépide de Hadj Fatmi , qui s’est engagé deux fois, dans les troupes d’Abdelkrim , puis dans l’armée française durant la seconde guerre mondiale , le statut du Marocain type : « C’est d’ailleurs moins un être de chair et de sang qu’un symbole :avec ses trois mères : la Berbère, l’Arabe et la Noire –il ne manque que la Juive- c’est le Marocain , l’archétype, le mètre-étalon. »

A la fin du roman, dont le mérite essentiel est, on le voit bien, de poser les bonnes questions, celles de l’histoire, de sa connaissance, de ses incertitudes, les Girard ont un excellent réflexe : ils font connaissance avec l’histoire de ce pays, au-delà des préjugés, du tourisme de masse, de l’exotisme facile . La démonstration de Fouad Laroui est plaisante, jamais didactique, ni manichéenne ; elle n’est elle que plus convaincante . Livre à recommander hautement.
une bonne lecture 8 étoiles

La vieille dame du Riad
L’auteur de ce roman Fouad Laroui est marocain. Né en 1958, à Ouyada , il poursuit des études secondaires au lycée français de Casablanca , des études universitaires , en France, à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et obtient un diplôme d’ingénieur. Puis il change d’orientation, s’intéresse à l’économie, fréquente en Angleterre Cambridge , York et se trouve en possession d’un doctorat de sciences économiques grâce auquel il enseigne actuellement à Amsterdam tout en gardant une part de son temps pour écrire .
L’ouvrage qui, ici, nous intéresse s’apparente à un conte dont les visées historiques et politiques sont assez évidentes.
Dans une première partie, un narrateur extérieur à l’action présente, non sans ironie et sur un ton badin, un couple de Français : Cécile et François qui vivent dans la région parisienne mais , la crise de la quarantaine aidant , François rêve de changer d’existence et de s’installer « ailleurs »… Sa femme bien qu’un peu réservée devant ce projet finit par accepter l’idée d’acheter un Riad au Maroc, à Marrakech . Pourquoi Marrakech ? François donne la réponse qui laisse rêveur: Il a vu et entendu aux infos que « la moitié du gouvernement avait passé les fêtes de fin d’année à Marrakech. Anne Sinclair y possède une maison, un Riad , BHL aussi ,Pierre Bergé, Alain Delon… Ils ont montré des images de Marrakech… en plein désert, enfin dans une palmeraie, une sorte d’oasis… »(p.13 )
En réalité le couple n’a aucune connaissance du Maroc ni de Marrakech… ce qui ne les empêche nullement de partir chercher le Riad de leurs rêves . Ils le trouvent, ils l’achètent et font une extraordinaire trouvaille … que nous vous laissons découvrir… En tout cas c’est le point de départ de la partie la plus « substantielle » de l’ouvrage.
La seconde partie est racontée par un nouveau narrateur . Il s’agit d’un voisin, professeur d’histoire , qui fait le récit de la vie des anciens habitants du Riad à partir du début du XIXème siècle et par ce biais , il fait l’historique des rapports du Maroc et des Marocains avec l’Occident et en particulier avec la France ( Protectorat ).
Avec ce nouveau narrateur le ton du récit change… il devient sérieux. C’est celui d’un historien engagé qui se double d’un romancier analysant les situations et les états d’âme des personnages face aux diverses formes du colonialisme . Et ce romancier éprouve beaucoup de sympathie (au sens étymologique du terme) pour ses personnages… en particulier pour le jeune Tayeb.
La dernière partie est reprise par le narrateur du départ et nous ramène au présent, celui du couple de Français , de leur Riad et de la fin de leur aventure Marocaine… le tout raconté avec la même ironie qu’au début mais maintenant on sent que le regard du narrateur a évolué en fonction de l’évolution « positive » du couple… c’est peut être la raison pour laquelle , dans l’avant dernier chapitre , il laisse à Céline le soin d’achever l’histoire de Tayeb…
Personnellement , j’ai trouvé beaucoup de qualités à ce roman . Qualités de forme : style vivant , alerte , avec des ruptures de ton , de temps , de narration . Qualités de fond : une réflexion sur les diverses formes du colonialisme , réflexion appuyée sur des données historiques . Réflexions sérieuses mais présentées avec intelligence sous la forme d’un conte… à ne pas lire au premier degré !

KAATH - Saint - Brieuc 22.000 - 87 ans - 2 décembre 2012