La Voie
de Edgar Morin

critiqué par Falgo, le 27 août 2012
(Lentilly - 85 ans)


La note:  étoiles
Un défi formidable: oser penser l'avenir
Edgar Morin est l'un des grands esprits de ce temps. S'il a écrit ce livre, bien dans la continuité de ses ouvrages précédents, ce n'est pas pour patauger dans des débats politiques éculés ni pour défendre un camp ou une position avantageuse. La hauteur de vue est impressionnante et je vais essayer d'en rendre compte sans trahir une pensée foisonnante et d'une grande richesse, même si pas toujours achevée.
Partant du constat que le "Système Terre" est menacé dans son existence (ceci n'est pas sans rappeler Jared Diamond) par les périls nucléaires, la dégradation de la biosphère, le bateau ivre de l'économie mondiale, le retour des famines et la multiplication des conflits ethno-politico-religieux, il estime que, seule, une métamorphose fondamentale permettra de retrouver un équilibre. Pour y arriver, Morin dessine une Voie salvatrice, laquelle comporte de nombreux chemins corrélatifs, interactifs et interdépendants dont il trace les parcours.
Une pensée politique régénérée considèrerait la Terre comme une grande patrie commune dans laquelle toutes les cultures auraient droit de cité en vue d'établir de réelles solidarités, repenser une vraie vie collective et conviviale et moraliser l'action publique. Dans cette optique, il est nécessaire de réaliser "une réforme de notre mode de pensée pour embrasser dans sa complexité la relation entre l'humanité et la nature ". Cette prise de conscience écologique doit ainsi gouverner orientations des modes de vie et investissements nouveaux. Ceci remet complètement en question la pensée économique et les manières par lesquelles elle conduit notre vie quotidienne. Morin établit à cet effet 17 pistes de réformes particulièrement critiques (pp. 104-112).
De telles perspectives demandent une refonte complète de notre mode de pensée: "notre temps est celui de la nécessité d'une pensée apte à relever le défi de la complexité du réel." Or la science actuelle s'est bâtie sur des piliers de certitudes (déterminisme absolu, séparabilité des objets, valeur de preuve absolue fournie par l'induction et la déduction) qui pénalisent l'approche de la complexité et des incontestables interactions et contradictions du réel: ordre/désordre, science éclairante/aveugle, civilisation/barbarie, raison/passion, unité/diversité. "Les analphabètes du XXI° siècle ne sont pas ceux qui ne peuvent lire ni écrire, mais ceux qui ne peuvent apprendre, désapprendre, réapprendre."
Réformer la pensée signifie nécessairement prendre dans un sens nouveau les impératifs de l'éducation: réorienter simultanément les esprits et les institutions vers une meilleure compréhension des enjeux de l'humanité, dépassant la simple transmission de savoirs qui reste cependant un maillon essentiel de la chaîne.
De cette perspective surplombante découlent de nombreuses réformes de société: médecine, habitat, agriculture, alimentation (par exemple: l'alimentation carnée?), consommation, travail, vie individuelle et sociale, famille, destins individuels. Il est impossible de détailler ou de résumer un tel ensemble, par nature inégal dans ses composantes. La seule conclusion que je peux en tirer est que, pour assurer l'avenir de l'humanité et de la Terre, nos modes de vie doivent être impérativement réorientés et très profondément.
Evidemment, Morin ne présente pas tous les débats qui accompagnent forcément la mise en ouvre de ces réformes. Des milliers de pages y seraient nécessaires. Il n'évoque pas non plus les résistances, intellectuelles, philosophiques, mentales, hypocrites qui vont s'opposer à ce projet utopique. Bien sûr, de très nombreux aspects sont à discuter, en particulier sur la mise en oeuvre, son organisation et ses délais.
Si notre personnel politique qui montre constamment sa petitesse et son étroitesse lisait ce livre, le méditait et commençait à en tirer des actions, ce serait un grand progrès. Certes l'ouvrage, tel qu'il est, ne comble pas toutes les attentes, mais il dessine une voie. C'est déjà beaucoup.