Moïse,enfant sauvage
de Stéphane Soularue

critiqué par Eric Eliès, le 18 août 2012
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Une BD noire et oppressante sur la dérive d'un adolescent haineux envers le monde
Cette BD noir et blanc, au dessin épais et sombre et dénué de toute tentation "esthétique" (sauf dans les deux grandes planches représentant la Ville, immonde de noirceur), distille une atmosphère sourde et oppressante, où la violence (morale et physique) est omniprésente. Tout y est "dégueulasse", du dessin glauque jusqu'au déroulement de l'histoire. Ca m'a un peu fait penser à Vuillemin (pas celui des sales blagues mais celui, par exemple, de Frisson de bonheur), dans la volonté d'imposer au lecteur quelque chose d'insupportable, de révoltant, et de méchant jusqu'à la cruauté sans une once d'humour ou d'espoir...
L'histoire est simple : dans un carton abandonné sous un pont, un couple de gitans découvre un bébé abandonné, silencieux et laid. Le père ne veut pas s'en encombrer mais la mère (sans enfant) décide de l'adopter néanmoins. Il est baptisé Moise par une vieille gitane mais l'enfant trouvé se révèle vite d'une violence insupportable, envers les hommes et les animaux. Soupçonné d'avoir tué sa nourrice, l'enfant est finalement à nouveau abandonné par les gitans, ficelé dans un sac poubelle et déposé devant une école. Un vieux prof (qui sera présenté comme une caricature de vieux communiste barbu enfermé dans une vision idéologique du monde puisée dans les livres de sa bibliothèque), en sortant de l'école après avoir fêté son départ en retraite, le découvre, l'interprète comme un signe du destin et l'emporte à la maison, faisant la joie de son épouse (ils n'ont pu avoir d'enfant). Le prof (nommé Bernard), qui rebaptise Moise en Maurice en hommage à Maurice Thorez (!), enferme le gamin et l'éduque afin qu'il devienne un bon communiste mais celui-ci, taciturne et colérique, ne cesse de se rebeller, frappant ses parents adoptifs puis fuguant dans la forêt où il martyrise les animaux (décapitant une souris pour en boire le sang) et les arbres... Les années passent sans rien changer : l'enfant haineux devient un adoslescent haineux. Seule l'arrivée, chez ses parents adoptifs, d'une jeune adolescente africaine nommée Samoura l'ouvre à une relation humaine non conflictuelle, même si elle reste en permanence un rapport de force. En fait, cette ado, qui vit en banlieue avec ses parents sans papier (soutenus et parfois cachés par les communistes qui les protègent contre la police), se révèle plus dure que Moise/Maurice : elle lui montre qu'il est seul, qu'il doit se battre pour devenir lui-même dans un monde dégueulasse où la Ville se réduit à son usine de transformation électrique, ses trains et sa station d'épuration. Ils traînent tous les deux dans une espèce de zone, qui n'est ni la campagne ni la ville, en rêvant de tout détruire...
Lorsqu'il apprend que Samoura et ses parents ont été raflés puis expulsés, sans que Bernard n'ait rien pu faire, Moise/Maurice bascule ouvertement dans la haine de la société. Il est alors approché par une espèce de religieux islamiste, qui insidieusement parvient à le convaincre que sa révolte peut avoir une issue... Il sera le seul personnage de l'histoire qui, par ses discours et son attitude de confident, obtiendra des larmes de Moise/Maurice. Bernard, découvrant l'inanité de l'éducation "socialiste" qu'il a dispensée à son fils adoptif, tente vainement de s'opposer à sa dérive mais se fait brutalement frapper... La BD s'achève tandis que Moise regarde la ville en songeant à Samoura, avec en poche un billet d'avion pour Peshawar...

Cette BD est linéaire et semble parfois caricaturale dans sa représentation de personnages minables ou malsains (sauf les deux mères adoptives, même si elles sont impuissantes à corriger le caractère haineux de Moise/Maurice, qui n'aura jamais connu que l'abandon et l'enfermement). Néanmoins, elle est très efficace : le lecteur ne peut qu'être déstabilisé par sa lecture, expérience désagréable comme une apnée dans un seau de merde mais il est bon que des auteurs osent la radicalité et la représentation sans concession de grands enjeux sociaux. Je suis juste curieux de savoir si l'auteur (Stéphane Soularue) a une vraie expérience concrète de la banlieue.